La vente d’un lecteur multimédia qui permet de regarder gratuitement et facilement, sur un écran de télévision, des films disponibles illégalement sur Internet peut constituer une violation du droit d’auteur. La reproduction temporaire sur ce lecteur d’une œuvre protégée par le droit d’auteur obtenue par diffusion en flux continu (« streaming ») n’est pas exemptée du droit de reproduction.
Les faits
M. Wullems vend sur Internet différents modèles d’un lecteur multimédia, sous l’appellation « filmspeler ». Sur ce lecteur, M. Wullems a installé un logiciel à code source ouvert, qui permet de lire des fichiers dans une interface facile à utiliser au moyen de menus structurés. En outre, il y a intégré des modules complémentaires disponibles sur Internet, qui ont pour fonction de puiser les contenus désirés sur les sites de diffusion en flux continu et de les faire démarrer, d’un simple clic, sur le lecteur multimédia connecté à un écran de télévision.
Certains de ces sites donnent accès à des contenus numériques avec l’autorisation des titulaires du droit d’auteur, tandis que d’autres y donnent accès sans l’autorisation de ceux-ci.
Selon la publicité, le lecteur multimédia permettrait notamment de regarder gratuitement et facilement, sur un écran de télévision, du matériel audiovisuel disponible sur Internet sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur.
L’action en justice
Stichting Brein, une fondation néerlandaise de défense des intérêts des titulaires du droit d’auteur, demande au Rechtbank Midden-Nederland (tribunal de Midden-Nederland, Pays-Bas) d’ordonner à M. Wullems de cesser la vente de lecteurs multimédia ou l’offre de liens hypertexte qui donnent aux utilisateurs illégalement accès à des œuvres protégées.
Stichting Brein soutient que, en commercialisant le lecteur multimédia, M. Wullems a effectué une « communication au public », en violation de la législation néerlandaise sur le droit d’auteur qui transpose la directive 2001/291. Le Rechtbank Midden-Nederland a décidé d’interroger la Cour de justice à ce sujet.
L’avis de l’avocat général
L’AG avait estimé que : « En équipant ses appareils d’hyperliens renvoyant à ces œuvres dans un but lucratif et en ayant conscience de leur illicéité, M. Wullems aide les acheteurs du filmspeler à éluder le versement de la contrepartie qui peut être exigée pour en jouir légitimement, c’est-à-dire la rémunération due à leurs auteurs, qui prend généralement la forme d’abonnements, de souscriptions ou d’autres formules de paiement à la séance ».
Il avait ajouté que : « Filmspeler comporte indéniablement un avantage pour une fraction non négligeable de ce public, à savoir les internautes qui ne sont pas particulièrement aguerris dans la découverte de sites illicites permettant de visionner des films et des séries télévisées, parmi d’autres contenus numériques. Il est possible que cette fraction du public préfère naviguer aisément dans le menu affiché à l’écran par le filmspeler plutôt que de rechercher, parfois laborieusement, les sites Internet qui offrent ces contenus. Quoi qu’il en soit, la diffusion d’œuvres protégées que M. Wullems favorise atteint un public qui n’a pas été pris en compte par les titulaires des droits d’auteur lorsqu’ils ont refusé d’autoriser leur consultation ou ne l’ont autorisée que dans les circuits payants (…) ».
En somme, l’AG y voyait une « communication au public ». Nous renvoyons à notre analyse précédente pour plus d’infos.
L’arrêt de la Cour
Sur la communication au public
Dans son arrêt de ce 26 avril, la Cour confirme que la vente d’un lecteur multimédia tel que celui en cause constitue une « communication au public », au sens de la directive.
Elle rappelle à cet égard sa jurisprudence selon laquelle la directive a pour objectif principal d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs. La notion de « communication au public » doit donc être entendue au sens large. Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que le fait de fournir, sur un site Internet, des liens cliquables vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès sur un autre site offre aux utilisateurs du premier site un accès direct à ces œuvres. Tel est également le cas de la vente du lecteur multimédia en question.
De la même manière, M. Wullems procède, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, à la pré-installation, sur le lecteur multimédia de modules complémentaires qui permettent d’avoir accès aux œuvres protégées et de visualiser ces œuvres sur un écran de télévision. Une telle activité ne se confond pas avec la simple fourniture d’installations physiques, visée par la directive. À cet égard, il ressort des observations présentées à la Cour que les sites Internet de diffusion en flux continu ne sont pas facilement identifiables par le public et, s’agissant d’une majorité d’entre eux, changent fréquemment.
La Cour relève également que, selon la juridiction de renvoi, le lecteur multimédia a été acheté par un nombre assez considérable de personnes. En outre, la communication vise l’ensemble des acquéreurs potentiels de ce lecteur qui disposent d’une connexion Internet. Ainsi, cette communication vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique un nombre important de personnes. Par ailleurs, la fourniture du lecteur multimédia est réalisée dans le but d’en retirer un bénéfice, le prix acquitté pour ce même lecteur multimédia étant versé notamment pour obtenir un accès direct aux œuvres protégées, disponibles sur des sites de diffusion en flux continu sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur.
Sur l’exception pour reproduction temporaire
La Cour juge également que les actes de reproduction temporaire, sur ce lecteur multimédia, d’une œuvre protégée par le droit d’auteur obtenue par « streaming » sur un site Internet appartenant à un tiers proposant cette œuvre sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, ne sont pas exemptés du droit de reproduction.
Selon la directive, un acte de reproduction n’est exempté du droit de reproduction que s’il remplit cinq conditions, à savoir lorsque :
(1) cet acte est provisoire ;
(2) il est transitoire ou accessoire ;
(3) il constitue une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique ;
(4) l’unique finalité de ce procédé est de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite d’une œuvre ou d’un objet protégé, et
(5) cet acte n’a pas de signification économique indépendante.
Ces conditions sont cumulatives en ce sens que le non-respect d’une seule d’entre elles a pour conséquence que l’acte de reproduction n’est pas exempté. En outre, l’exemption n’est applicable que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou d’un autre objet protégé et qui ne causent pas de préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.
En l’occurrence et compte tenu, en particulier, du contenu de la publicité faite pour le lecteur multimédia et du fait que le principal attrait du lecteur réside dans la pré-installation des modules complémentaires, la Cour considère que c’est de manière délibérée et en connaissance de cause que l’acquéreur d’un tel lecteur accède à une offre gratuite et non autorisée d’œuvres protégées.
En outre, les actes de reproduction temporaire sur le lecteur multimédia en question, d’œuvres protégées par le droit d’auteur, sont de nature à porter atteinte à l’exploitation normale de telles œuvres et à causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires du droit d’auteur, dès lors qu’il en résulte normalement une diminution des transactions légales relatives à ces œuvres protégées.
Vous pouvez télécharger l'arrêt de la CJUE (PDF).