Le 23 février 2018, la nouvelle directive européenne n°2016/97/EU du 20 janvier 2016 sur la distribution en matière d’assurances (Insurance Distribution Directive, « IDD ») entrera en vigueur dans les États-membres de l'Union européenne. Cette directive a pour vocation de remplacer la directive européenne n° 2002/92/CE du 9 décembre 2002 sur l’intermédiation en assurance (Insurance Mediation Directive, « IMD »), et pour objectif principal de favoriser l’intégration des marchés, d’assurer un ‘level playing field’ entre les différents types de distributeurs de produits d’assurance, et d’augmenter de manière substantielle la protection des consommateurs d’assurance.
La directive IDD reste une directive d’harmonisation minimale, avec pour conséquence que les États-membres gardent la possibilité de prévoir des obligations plus strictes. Malgré le fait que le législateur belge, avec la réglementation dite « AssurMiFID », avait pris de l’avance sur le législateur européen, il faut noter que la directive IDD apportera certaines innovations importantes en droit belge des assurances.
Le présent article vise à donner un premier aperçu des principaux changements apportés par la directive IDD, par rapport à l’ancienne directive, et de son impact sur le secteur belge des assurances. Cet article est basé sur les avant-projets de loi disponibles en octobre 2017, à savoir un avant-projet relatif aux règles de conduite, et un avant-projet relatif à l’accès à la profession.
Mentionnons déjà que ce 26 octobre 2017, le Parlement européen a, à la suite de la décision du Comité des Affaires Economiques et Monétaires (« ECON ») du 16 février 2017, pris les deux décisions suivantes :
- Le Parlement européen n’a pas d’objections quant aux deux projets de règlements délégués de la Commission du 21 septembre 2017 qui complètent la directive IDD (surveillances des produits et dispositifs de gouvernance et obligations d’information et règles de conduite applicables aux produits d’investissement fondés sur des assurances);
- Le Parlement européen demande à la Commission de ne pas adapter le délai de transposition, mais d’adopter une proposition législative qui détermine la date d’application de la directive IDD au 1er octobre 2018.
- Une décision officielle de la Commission doit encore suivre, mais toutes les indications font penser que la Commission prendra une décision similaire à celles prises par l’ECON et le Parlement européen.
1. À qui la directive IDD est-elle applicable ?
La directive IDD sera applicable tant aux entreprises d’assurance qu’aux intermédiaires en assurances, en ce compris les intermédiaires à titre accessoire.
Premièrement, la directive IDD vise désormais tous les canaux de distribution de produits d'assurance, que le client souscrive un contrat directement auprès d’une compagnie d'assurance, ou indirectement via un intermédiaire. La principale innovation de la directive IDD est donc de ne plus viser uniquement les intermédiaires d'assurance, mais également désormais les compagnies d'assurance, lorsqu’elles vendent leurs produits directement.
À ce titre, la directive IDD et la future loi belge ne parlent plus d’« intermédiation en assurances », mais de « distribution d’assurances » et de « distributeurs d’assurances ». Sont visées toutes les activités relevant du domaine du conseil, de la présentation, de la réalisation de travaux préparatoires à la conclusion de contrats d'assurance, de l’aide à la gestion et à l’exécution des contrats d’assurance, notamment en cas de sinistre. Cette définition correspond à l’actuelle définition contenue dans la loi belge, telle que modifiée en 2014. La directive IDD innove en y ajoutant à présent les activités des sites web ou autres médias comparateurs, à tout le moins lorsque le client, à la fin du processus, dispose de la possibilité (directe ou indirecte) de conclure un contrat d'assurance.
Deuxièmement, la directive IDD fait désormais également une distinction claire entre les intermédiaires et les intermédiaires à titre accessoire. Ces derniers exercent l’activité de distribution d’assurances uniquement de manière additionnelle à une autre activité professionnelle, et offrent des produits d’assurances complémentairement à d’autres biens ou produits (recouvrant donc notamment la connected contracts exemption). Ils sortent du champ d’application de la directive s’ils remplissent certaines conditions. Ces conditions, cependant, ont subi des changements par rapport à la directive IMD. L’ajout important effectué par la directive IDD concerne les entreprises d’assurances ou les intermédiaires qui font appel à de tels intermédiaires à titre accessoire. Ils doivent en effet veiller à ce que ces derniers répondent à certaines exigences de base, afin d’assurer une protection minimale des consommateurs.
Restent en outre toujours exclues du champ d'application de la directive IDD les activités purement introductives. Celles-ci comprennent : (i) la fourniture occasionnelle d’informations dans le cadre d'une autre activité professionnelle, (ii) la gestion professionnelle de sinistres, (iii) (nouveauté de la directive IDD) la fourniture de simples informations sur des assurés potentiels à des intermédiaires d’assurance ou à des compagnies d’assurance et, enfin, (iv) (nouveauté de la directive IDD) la fourniture de simples informations à des assurés potentiels sur des assurances, une compagnie d’assurances ou un intermédiaire (correspondant à l’activité d’apporteurs d’affaires, concept déjà connu en droit belge).
Enfin, la directive IDD prévoit qu’elle n’est pas applicable aux risques et engagements situés en dehors de l'Union européenne. Cet article particulier n’a cependant pas été transposée dans l’avant-projet de loi belge, partant du fait qu’un consommateur sur le marché belge des assurances doit pouvoir bénéficier de la même protection pour ses risques situés à l’étranger, et que ce risque doit être soumis aux mêmes obligations d'information et aux mêmes règles de conduite.
2. Quelles sont les obligations d’information et règles de conduite prévues par la directive IDD ?
a. Règle de conduite de base et obligation de diligence
La directive IDD établit tout d'abord des règles de conduite de base, parmi lesquelles l’obligation pour les distributeurs d'assurance d'agir avec honnêteté, de façon équitable et professionnelle, et dans l’intérêt de leurs clients. De plus, les informations fournies aux clients (potentiels) doivent être équitables, claires et non trompeuses. Cette « règle de conduite fondamentale » s’applique en droit belge.
Un autre devoir fondamental du distributeur d’assurances est l’obligation de diligence. Selon ce principe, le distributeur doit déterminer les besoins et attentes du client et doit faire en sorte que le produit d’assurances qu’il lui propose correspond à ces besoins et attentes.
En outre, le distributeur d’assurances doit fournir à ses clients toutes les informations pertinentes et objectives sur le produit d’assurance, et ce sous une forme compréhensible et en tenant compte de la complexité du produit d'assurance et du type de client.
b. Obligation d’information
La directive IDD précise les informations que les compagnies d’assurances devront, dans un stade précontractuel, communiquer aux clients. Il convient de noter que ces obligations d'informations ne concernent pas les grands risques, et que le Roi est autorisé à imposer des obligations d’information supplémentaires.
La directive IDD et à sa suite l’avant-projet de loi introduisent par ailleurs une certaine catégorisation des clients, ce qui n’était jusqu’à récemment pas permis en droit belge. Désormais, il sera possible, pour les distributeurs d’assurances, d’effectuer une distinction entre les clients professionnels et clients de détail. Cette distinction avait déjà été partiellement introduite par l’arrêté royal du 25 avril 2014 sur la publicité des services financiers. Certaines informations (telles que concernant la rémunération, le reporting annuel au client, le test de l’adéquation et du caractère approprié, …) ne devront pas être délivrés aux clients professionnels. L’avant-projet de loi conserve toutefois encore à ce stade une distinction entre risques de masse et grands risques, avec le risque toujours existant de confusion des champs d’application.
Un ajout important à souligner, effectué par l’avant-projet de loi, concerne les assurances dites « collectives ». L’avant-projet de loi ne vise que les assurances où chaque membre ne peut prendre individuellement la décision de s’affilier (affiliation automatique). Dans ce cas, il revient au représentant du groupe (le preneur collectif) de communiquer les informations requises aux membres. Par exemple, un employeur qui conclut une assurance collective pour ses employés (autre qu’une assurance du deuxième pilier, par exemple une assurance hospitalisation), sera tenu de transmettre à ses employés les informations requises par la loi, qu’il aura au préalable reçues de la compagnie d’assurances ou de l’intermédiaire d’assurances.
c. Transparence en matière de rémunération
En outre, la directive IDD prévoit certaines règles en matière de rémunération de l’activité de distribution d’assurances. La première est le principe général selon lequel le distributeur d’assurances ne peut pas être rémunéré ou évalué d’une manière qui est en conflit avec son obligation d’agir dans l’intérêt de ses clients. La seconde consiste en une obligation de transparence concernant la nature de la(es) rémunération(s) qu’ils perçoivent concernant un contrat d’assurances. Le terme « rémunération » est interprété de manière très large : il inclut tous les frais, commissions et tout autre type de paiement, y compris les avantages économiques de toute nature (qu'ils soient payés par le client ou par des tiers). De plus, l’intermédiaire doit également fournir certaines informations sur son indépendance par rapport aux compagnies dont il distribue les produits, comme cela est déjà le cas en vertu de la législation en vigueur. Ces dispositions sont déjà connues en droit belge.
d. Obligation de délivrer un « Document d’information sur le produit d’assurance »
Désormais, certaines informations de base sur le contrat d’assurance devront être transmises aux clients sous une forme standardisée, au moyen d’un document portant le titre « Document d'information sur le produit d’assurance ». Les règles concernant le contenu précis et le format de ce document d'information seront plus amplement définies par la loi. En outre, le Roi est autorisé à étendre ou à préciser les informations à mentionner dans ce document. Cette exigence ne concerne toutefois pas les grands risques. Cette obligation vient remplacer la fourniture d’une fiche, qui avait été introduite en droit belge en 2014 et reportée ensuite sine die.
e. Exigences supplémentaires pour les produits d’investissement fondés sur l’assurance
La directive IDD comporte également des exigences supplémentaires relatives aux produits d’investissement fondés sur l’assurance. Lors de la proposition d’un produit d’investissement fondé sur l’assurance, le même principe de diligence s’applique, et le caractère adéquat ou approprié du produit devra être évalué. Les clients (potentiels) devront également recevoir à l’avance des informations suffisantes sur les assurances avec une composante d'investissement, ainsi que sur les coûts et frais qui y sont liés.
Ces exigences supplémentaires sont déjà connues en droit belge, puisque les règles AssurMiFID les ont introduites dès 2014, et les ont rendues applicables à tous les produits d’assurance-vie (épargne et investissement).
3. La réglementation sur les offres conjointes sera-t-elle assouplie ?
Sous le vocable de « vente croisée », la directive IDD et l’avant-projet de loi visent l’offre conjointe concernant au moins un produit d’assurance. Contrairement à la législation belge actuelle, qui interdit l’offre conjointe lorsque l’un des composants est un service financier tel qu’une assurance, la directive IDD introduit maintenant la possibilité de les offrir conjointement, lorsqu’ils répondent à certaines conditions.
En ce sens, la directive IDD propose une nouvelle distinction entre :
Le cas où une assurance est le produit principal, et le produit accessoire n’est pas une assurance : dans ce cas le distributeur de produits d’assurance doit indiquer au client s’il est possible d’acheter séparément les diverses composantes et, dans l’affirmative, lui fournir une description adéquate de chacune des composantes du lot, ainsi que les coûts et frais liés à chacune des composantes.
Le cas contraire, où l’assurance n’est pas le produit principal, mais le produit accessoire : dans ce cas le distributeur des produits d’assurance doit donner au client la possibilité d’acquérir chaque composante séparément. Cette disposition ne s’applique toutefois pas lorsque l’assurance est accessoire à un service ou à une activité d’investissement.
4. Faudra-t-il mettre en place un « Processus de validation des produits » ?
La directive IDD prévoit désormais que, avant qu’un produit d’assurance ne soit commercialisé (ou qu’une modification significative ne soit apportée à un produit), les compagnies d’assurances et les intermédiaires d’assurances qui développent des produits d’assurances (« les concepteurs »), devront appliquer un processus de validation des produits, en déterminant le marché-cible visé, ainsi que la stratégie de distribution en rapport avec ledit marché-cible.
En outre, les concepteurs devront examiner régulièrement si le produit d’assurance répond toujours aux besoins du marché-cible, et si la stratégie de distribution envisagée reste appropriée. Les concepteurs devront enfin fournir aux distributeurs toutes les informations appropriées sur le produit d'assurance, le processus de validation du produit, et le marché-cible.
Même si l'on peut supposer que les concepteurs disposent déjà aujourd’hui de certaines procédures internes de validation ou d’approbation, avant la commercialisation d’un produit, ces procédures seront désormais encadrées par la loi, et leur mise en œuvre sera suivie par la FSMA.
5. Y a-t-il des nouveautés en matière d’inscription ou de contrôle des connaissances et des qualifications professionnelles ?
En ce qui concerne les exigences minimales de connaissances et de qualification, la directive IDD élargit de manière significative les exigences auxquelles doivent répondre les intermédiaires de (ré)assurances, ainsi que les employés des intermédiaires de (ré)assurances et de compagnies d’assurances ; ces exigences font désormais l’objet d'une liste détaillée dans une annexe à la directive IDD.
Cette annexe opère une distinction entre les connaissances minimales requises pour la distribution (i) d’assurances de dommages (branches 1 à 18), (ii) d’assurances-vie avec une composante d'investissement (PRIIPS), et (iii) d’autres assurances sur la vie.
Il faut noter que dorénavant les responsables de la distribution et les personnes en contact avec le public devront également répondre aux exigences de connaissances et de compétence professionnelles.
Il est en outre expressément prévu que les connaissances et les compétences requises feront l’objet d’une formation professionnelle ou d’un recyclage annuel de minimum 15 heures, alors que la réglementation actuelle prévoit 30 heures tous les trois ans (soit 10h / an) pour les courtiers et les agents d'assurance, et 20 heures tous les trois ans pour les sous-agents.
Comme auparavant, la directive IDD impose aux distributeurs d’assurances (non exemptés) d’être inscrits dans un registre auprès de l’autorité compétente de leur État-membre d'origine.
Les principales modifications apportées par l’avant-projet de loi concernent le fait que l’intermédiaire d’assurances ne doit plus solliciter une inscription dans chacune des branches d’assurances dans lesquelles il souhaite être actif, mais bien dans le groupe de branches d’assurance. Une distinction est faite entre (i) les assurances de dommages, (ii) les assurances sur la vie comportant un élément d’épargne ou d'investissement, et (iii) les autres types d’assurance-vie.
Il est dans l’intention de la FSMA de demander annuellement aux intermédiaires dans quelles branches d’assurances ils sont réellement actifs.
6. Les pouvoirs des autorités de contrôle sont-ils élargis ?
Le passeport européen existant attribué aux intermédiaires de (ré)assurances enregistrés dans le registre de leur Etat-membre d’origine reste valable. La directive IDD reprend à son compte la distinction entre les intermédiaires de (ré)assurances souhaitant être actifs sous la libre prestation de services, ou sous la liberté d'établissement.
Les dispositions de la directive IDD diffèrent essentiellement en fonction de la répartition des compétences entre les autorités de contrôle de l’Etat-membre d’origine et celles de l’Etat-membre d’accueil, et notamment en ce qui concerne la procédure à suivre si le distributeur ne remplit pas ses obligations dans l’Etat-membre d'accueil.
Une nouveauté de la directive IDD concerne le fait que l’autorité compétente de l’État-membre d'origine peut refuser l’établissement dans un autre État-membre, si elle a des doutes quant à la pertinence de la structure organisationnelle, ou de la situation financière, du distributeur concerné.
7. Quelles recommandations en tirer ?
Bien que la Belgique ait fait figure de pionnier en matière de réglementation et de « Mifidisation » de la distribution en assurances, en imposant les règles AssurMiFID dès 2014, la nouvelle directive IDD introduit plusieurs modifications fondamentales.
Croire que le respect des règles AssurMiFID sera suffisant pour satisfaire aux exigences de la directive IDD est donc un leurre. Chaque distributeur d’assurances devra, le cas échéant, évaluer ses modèles et pratiques actuelles, afin de pouvoir y apporter les ajustements nécessaires.