1. La rémunération variable est un facteur important de la compétitivité des entreprises. Ses critères de détermination permettent en outre à une entreprise d’exprimer ses valeurs. De nos jours, ces valeurs prendront en compte la responsabilité sociale de l’entreprise envers les actionnaires, les marchés et la société civile.
Déterminer le montant d’une rémunération variable, c’est questioner le lien qu’elle doit entretenir avec la performance et la prise de risques. Après deux années de crise, « près de la moitié des professionnels [français] de la finance anticipent un bonus 2010 supérieur à celui de [2009] (…) » (Le Figaro, 23/11/2010). Les chiffres sont similaires au Royaume-Uni (57%), aux Etats-Unis (50%), en Australie (55%) et à Hong Kong et Singapour (70%).
Ceci ne reflète guère les prestations du marché et la situation de la société civile et nombreux sont ceux qui considèrent que l’autorégulation des entreprises a atteint ses limites. Face à ce constat, les Etats tentent de réguler les rémunérations variables par voie de dispositions contraignantes. Dans la ligne de mire, ce que le Président de la Commission européenne, Monsieur J.M. Barroso a dénommé « la culture de prise de risque excessive poursuivant le succès à court terme ».
2. En Belgique, nous ne disposons d’aucune approche globale des rémunérations variables. Le régime change selon que le variable est payé en argent ou en nature et selon que l’on examine les conséquences en droit fiscal, en sécurité sociale, en droit des pensions, en droit du travail, etc.
La forme de variable la plus courante est le bonus en argent. Ce payement sera traité comme une rémunération ordinaire. Pour un coût employeur de 100, le net pour le travailleur salarié sera, au taux d’impôt le plus élevé (+ 53,5%), d’environ 30. L’octroi d’un bonus implique de payer les pécules de vacances (15,34%). Ce bonus participe aussi au calcul de la pension légale, sachant que la rémunération réelle prise en compte est plafonnée (47.171,84 € en 2010). Plus exceptionnellement, ce bonus sera aussi pris en compte pour le financement d’une retraite complémentaire ; cette méthode est attractive puisque, pour un coût employeur de 100, la pension nette complémentaire payée au travailleur retraité sera d’environ 71, soit plus du double d’un bonus payé en espèces. Enfin, ce bonus pourrait faire partie de la rémunération servant de base au calcul d’une indemnité de rupture du contrat de travail. Le traitement d’un bonus en argent est donc cohérent dans les différentes branches du droit : c’est une rémunération.
Un employeur pourrait octroyer des options sur actions. Cet avantage induira généralement une imposition forfaitaire faible, de l’ordre de 4% à 12% de la valeur de l’action à la date d’octroi des options. Le salarié prend toutefois un risque : l’impôt payé n’est pas récupérable même si les options ne sont pas exercées. De son coté, l’employeur y trouvera son compte : l’octroi d’options peut être exonéré de sécurité sociale et est rarement pris en compte pour le calcul des indemnités de rupture. Une option n’est donc pas une rémunération pour toutes les branches du droit.
Il existe aussi des mécanismes collectifs tel celui des avantages non-récurrents liés aux résultats. Ce système permet à l’entreprise d’allouer aux travailleurs un bonus en espèces en cas d’atteinte d’un résultat collectif sur une période donnée. Ce bonus est exonéré de sécurité sociale et d’impôt, il est soumis à une cotisation spéciale de 33% payable par l’entreprise mais est deductible de ses bénéfices imposables et il ne constitue pas une rémunération à prendre en compte pour le calcul des pécules de vacances et des indemnités de rupture. Par travailleur, l’avantage reste faible puisque le montant maximum sur un plan 2011 est plafonné à 2.358 €. Toutefois, un employeur qui l’octroie à tout son personnel réalisera une importante économie de sécurité sociale.
Nous pouvons en conclure qu’un payement de variable ne sera pas toujours vu comme une rémunération et les différences de traitement pourront amener une entreprise à préférer un mode plutôt qu’un autre.
3. De nouvelles dispositions ont été introduites pour les société cotées (loi du 6 avril 2010) et les établissements de crédit et enterprises d’investissement (directive CRD III). Ces dispositions prévoient notamment une approbation préalable des conditions d’octroi des rémunérations variables par des comités de rémunération et les actionnaires, la prise en compte d’objectifs sur plusieurs années, l’étalement du payement et la question du remboursement en cas d’octroi sur base d’informations financiers erronées.
Bien qu’applicables uniquement à certaines entreprises, ces nouvelles dispositions ont valeur d’exemple pour le marché. Malheureusement, elles prennent rarement en compte les conséquences dans les autres domaines du droit. A titre d’exemple, le droit fiscal est muet quant à la manière de traiter le reversement d’une rémunération variable « mal acquise » par un dirigeant. Ce problème est réel si le variable a été payé en espèces : faut-il reconnaître une rémunération négative l’année du remboursement ou faut-il corriger l’imposition d’origine ? Le fait d’attribuer le variable sous forme d’actions pourrait offrir une solution si l’employeur peut appliquer une décote complémentaire au moment où l’avantage devient taxable. Ainsi, une incertitude deviendrait une opportunité.
4. A la différence d’autres pays, la Belgique n’a pas introduit de surtaxes sur les bonus exceptionnels. Il faut dire que nos taux sont déjà prohibitifs. Si la majorité des pays avoisinants ont des taux marginaux proches, ils s’appliquent à partir d’un seuil bien plus élevé (plus de 178.000 € au Royaume-Uni contre 35.060 € en Belgique).
La concurrence fiscale internationale est un élément important dans le domaine des rémunérations variables. En effet, le facteur « temps » fera que le travailleur peut avoir réalisé ses prestations en Belgique mais vivre et travailler dans un autre Etat au moment où le variable lui est payé. La remuneration peut ainsi être planifiée en mettant en concurrence le droit fiscal belge avec celui des autres pays. Il est frappant de voir que c’est l’OCDE qui a pris l’initiative en cette matière en tentant de définir des règles d’imposition communes en vue de prévenir non seulement une double imposition mais aussi une double exonération. Ces règles restent toutefois conditionnées par ce que l’employeur et le travailleur ont convenu. Ici aussi, l’octroi d’une rémunération variable peut être tout autant cause d’une incertitude que d’’une opportunité.
5. En conclusion, la gestion des rémunérations variables requiert des entreprises et de leurs conseils une approche globale corporate, social, fiscal et pensions. Si notre pays souhaite redevenir compétitif dans ce domaine, il devrait dès lors apporter un soin particulier, non seulement à maîtriser le coût de l’impôt sur le revenu, mais aussi et à coordonner et simplifier les different régimes juridiques.