OÙ EN SOMMES-NOUS ?
D'ici demain, 17 décembre 2021, la Directive EU sur les lanceurs d'alerte n° 2019/1937 du 23 octobre 2019 (voyez Checklist pour la préparation et l’implémentation d’une procédure de lanceurs d’alerte | Lydian) doit en principe être transposée dans la législation nationale. Comme de nombreux autres états membres, la Belgique ne respectera pas ce délai.
À partir de janvier 2022, les négociations gouvernementales débuteront concernant deux avant-projets de loi transposant la directive sur les lanceurs d'alerte, l'un pour le secteur privé sous l'autorité du Ministre Dermagne et l'autre pour le secteur public sous l'autorité du Ministre De Sutter. L'objectif est que les projets soient adoptés d'ici l'été 2022.
Les textes des avant-projets de loi n'ont pas encore été rendus publics.
Toutefois, le Conseil National du travail (ci-après CNT) et le Conseil Central des Entreprises (ci-après CCE) ont déjà donné leur avis sur le projet pour le secteur privé le 30 novembre 2021 (voyez ici). Bien entendu, certaines choses peuvent encore changer, compte tenu des négociations sur les projets de textes.
QUE NOUS APPREND L’AVIS DU CNT ?
Champ d’application matériel
À l'heure actuelle, le champ d'application matériel de l'avant-projet de loi serait plus large que ce qui est indiqué dans la directive sur les lanceurs d'alerte. Outre les infractions énumérées dans la directive (par exemple, protection des consommateurs, protection des données à caractère personnel (RGPD), marchés publics, santé publique,...), la fraude et l'évasion fiscales auraient été ajoutées d'une part, et il y aurait une référence à une liste non exhaustive de lois nationales transposant la législation EU d'autre part. C'est le (seul) point où les syndicats et les organisations d'employeurs ne sont pas sur la même longueur d'onde.
Secteur public et secteur privé
La réglementation s'applique tant au secteur public qu'au secteur privé. L'objectif est de fournir une réglementation uniforme pour les deux secteurs.
Pas uniquement les employés
Il va de soi que la réglementation s'appliquera aux employés/fonctionnaires qui ont obtenu des informations dans un contexte professionnel, mais les indépendants, les stagiaires, les anciens employés, les directeurs, les actionnaires seront également protégés s'ils signalent une infraction de bonne foi.
Attention à la proportionnalité : pas pour les petites entreprises et entrée en vigueur progressive
Seules les entités juridiques comptant 50 employés ou plus doivent disposer d'un canal et d'une procédure de signalement interne. Les associations de fait relèveraient également de la règlementation.
Elle n'est donc pas obligatoire pour les petites organisations, à l'exception des PME financières et économiques, qui devront toujours prévoir un canal et une procédure de signalement interne à partir d'un seul employé.
En outre, les entreprises de 50 à 249 employés ne devront disposer d'un tel canal de signalement interne que deux ans après l'entrée en vigueur de la règlementation (soit à l'été 2024). Les entreprises de 250 employés ou plus devront s'y conformer lorsque la réglementation entrera en vigueur (prévue pour l'été 2022).
La manière dont les seuils doivent être calculés n'est pas encore claire, mais actuellement le législateur semble suivre les règles de calcul qui s'appliquent aux élections sociales.
Les entreprises qui appartiennent à un groupe international ne pourront pas implémenter une politique globale uniquement. Cela devra toujours se faire dans le respect des règles éventuellement plus strictes au niveau local. Une politique standard globale avec une annexe par pays qui prévoit les adaptations nécessaires, nous semble être la meilleure pratique.
Contenu et implémentation du canal et de la procédure interne de signalement
La réglementation impose un certain nombre de dispositions auxquelles un canal et une procédure de signalement interne doivent se conformer (par exemple, verbalement et par écrit, possibilité d'avoir un entretien, confirmation spécifique de la réception, désignation d'une personne/d'un service indépendant et impartial autorisé à assurer le suivi des signalements (par exemple, compliance officer, rh,…) La culture de l'organisation, le budget et les ressources sont déterminants à cet égard.
Il n'y a pas non plus d'obligation quant à la manière d’implémenter les règles. Cela peut se faire dans le règlement du travail, une convention collective du travail ou une simple politique. Compte tenu de la flexibilité, nous préférons une politique. En tout état de cause, la consultation sociale doit être respectée : l'information et la consultation doivent se faire selon le système de cascade connu : conseil d’entreprise, délégation syndicale, CPPT ou directement auprès des travailleurs de l'entreprise.
Facultatif et libre choix
La réglementation ne prévoirait pas d'obligation de lancer l'alerte. Ainsi, le signalement resterait une possibilité et non une obligation.
De même, le lanceur d'alerte peut choisir d'utiliser la procédure interne ou la procédure externe, mais il est prévu que la procédure interne soit privilégiée autant que possible.
Les systèmes existants, tels que les procédures d'intervention en cas de risques psychosociaux basées sur la loi sur le bien-être ou le droit individuel d'être assisté par un représentant syndical, ne sont bien sûr pas affectés. Nous recommandons également aux entreprises de promouvoir les processus normaux connus de signalement interne pour signaler les irrégularités.
RGPD – signalement anonyme ?
Il va sans dire que le RGPD doit être respecté lors du traitement des données à caractère personnel.
Le point de départ est que l'identité du signaleur doit être protégée. Il n'est pas encore possible de savoir si le signalement anonyme est possible, mais ce serait l'intention. La position de l'APD à ce sujet n'est pas (encore) connue.
Canal de signalement externe
La Belgique devra désigner une autorité de signalement autonome et indépendante qui servira de canal de signalement externe. Cette autorité sera compétente pour recevoir les signalements, donner un feedback et proposer un suivi. En outre, les états membres doivent doter cette autorité de ressources suffisantes. Il reste donc à voir quelle sera l'autorité compétente en Belgique.
Interdiction de représailles et de sanctions
Les lanceurs d'alerte ne doivent pas faire l'objet de mesures de représailles. Celles-ci sont étendues et concernent non seulement le licenciement, mais aussi l'évaluation négative, l'absence de promotion ou la rétrogradation, le changement des conditions de travail, les sanctions disciplinaires, le non-renouvellement d'un contrat de travail, l'intimidation ou le harcèlement.
Les lanceurs d'alerte qui sont en mesure d'établir des faits permettant de soupçonner qu'il existe néanmoins un lien entre le signalement et les représailles, auraient droit à une indemnisation spécifique comprise entre un minimum de 18 et un maximum de 26 semaines de salaire. Le CNT recommande de prévoir dans la loi que cette indemnité n'est pas cumulable avec l'indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable prévue par la cct n° 109.
Actuellement, l'avant-projet de loi prévoit un renversement de la charge de la preuve qui n'est pas limité dans le temps : le CNT recommande que ce renversement soit limité dans le temps (par exemple 12 mois comme cela est prévu dans la Loi sur le bien-être).
Des sanctions administratives entre 250 et 1.250.000 EUR seraient prévues pour les personnes physiques et morales qui ne respectent pas les obligations de la règlementation et qui, par exemple, font obstacle à un signalement, exercent des représailles, etc. Le CNT souligne que des sanctions efficaces doivent également être prévues pour ceux qui lancent l’alerte de mauvaise foi.
A FAIRE
Il est recommandé aux grandes entreprises de se préparer en temps utile à l'implémentation du canal de signalement interne. Pour les petites organisations (< 250 employés), nous recommandons d'attendre de nouveaux développements sur le plan législatif. Nous suivrons cela de près pour vous et vous tiendrons informés.