Le gouvernement a chargé le ministre des Finances de préparer une première série de mesures s’inscrivant dans le cadre de la « réforme fiscale plus large ». Celles-ci devraient être débattues au sein du gouvernement en décembre 2022.
L’objectif poursuivi consiste à renforcer le pouvoir d’achat en augmentant la quotité exonérée d’impôt de 9 270 à 13 660 euros. Avec à la clef une augmentation des salaires nets d’environ 1.000 euros par an. Pour financer cette mesure, le ministre propose de supprimer un certain nombre de « niches fiscales ». A cette fin, il entend notamment durcir le régime des « revenus définitivement taxés » (RDT), et plus précisément (i) d’ajouter une condition d’immobilisation financière, (ii) d’abroger le régime de faveur des SICAV RDT et (iii) de supprimer la déduction des charges financières liées à l’acquisition, la détention et la cession d’actions. Ces trois mesures devraient rapporter pas moins de 750 millions euros en rythme de croisière !
J’aborderai ici l’instauration d’une nouvelle condition d’immobilisation financière, qui pourrait toucher en plein cœur de nombreuses holdings patrimoniales. J’examinerai dans une prochaine contribution l’abrogation du régime fiscal des « SICAV RDT » (technique de placement d’excédents de trésorerie fiscalement attrayante auquel ont recours de nombreuses PME belges) et la limitation à la déduction des charges de financement.
Ajout d’une condition d’immobilisation financière
A l’heure actuelle, les dividendes recueillis par une société (holding) peuvent être déductibles à 100% à l’impôt des sociétés à certaines conditions ; c’est ce qu’on appelle dans le jargon le régime des « RDT » (revenus définitivement taxés). On épinglera en particulier la condition de participation minimale : la société-actionnaire doit détenir une participation de 10% dans le capital de sa filiale ou une participation dont la valeur d'investissement excède 2.500.000 euros. Ce sont des critères alternatifs. Les plus-values sur actions peuvent être exonérées aux mêmes conditions.
Le ministre des Finances entend à présent assortir la condition de participation minimale de 2,5 millions d’euros d’une nouvelle condition : la participation doit avoir la nature d’« immobilisation financière ». Cette mesure ne devrait nullement impacter les holdings belges qui détiennent des participations de plus de 10% (par exemple, les holdings familiales détenant des participations majoritaires dans des sociétés opérationnelles). Il en va autrement des holdings qui ne détiennent pas une quantité de titres suffisante pour que la participation atteigne le pourcentage de 10% requis. A l’heure actuelle, ces holdings peuvent bénéficier malgré tout du régime des RDT si la valeur d'investissement des participations est supérieure à 2.500.000 euros. C’est pour cette raison que les holdings patrimoniales (détenues par des familles fortunées), qui investissent dans des portefeuilles d’actions cotées composés de lignes d’investissements de plus de 2.500.000 euros, sont en mesure de recueillir des dividendes et de réaliser des plus-values sur actions sans payer d’impôt des sociétés.
Impact pour les holdings patrimoniales
Ce traitement de faveur pourrait dans de nombreux cas tomber à l’eau en cas d’ajout d’une nouvelle condition d’ « immobilisation financière ». En effet, une participation (inférieure à 10%) dans une société cotée atteignant plusieurs millions d’euros pourrait parfaitement se voir refuser la qualification d’immobilisation financière, dès lors qu’elle ne confèrerait pas de « lien durable et spécifique » ou ne permettrait pas de développer l’activité propre de la société holding.
Exemple : une participation de 10.000.000 euros dans AB InBev détenue par une société holding belge ne devrait généralement pas constituer une « immobilisation financière », mais un simple « placement de trésorerie ». Résultat des courses : les dividendes et les plus-values sur actions pourraient être pleinement soumis à l’impôt des sociétés, au taux de 25%.
Outre les holdings patrimoniales, les établissements de crédit détenant à l’actif de leur bilan des « portefeuilles de placement » pourraient aussi être lourdement impactés par cette mesure.
Violation du droit européen ?
Il est piquant de préciser que cette condition d’immobilisation financière avait été déjà été introduite dans la législation fiscale il y a 20 ans… pour être ensuite supprimée à partir de 2011. La Commission européenne et la jurisprudence belge avaient en effet jugé que cette condition d’immobilisation financière était contraire au droit européen (la Directive mère-filiale).
Sans vouloir entrer ici dans des détails trop techniques, il me semble que le ministre a cette fois bien tenu compte du risque éventuel de violation du droit européen. La directive mère-filiale oblige les Etats membres (et donc notamment la Belgique) à exonérer inconditionnellement les dividendes distribués par une filiale dans laquelle la société mère détient une participation d’au moins 10%. Il y aurait donc eu une violation de la directive mère-filiale dans l’hypothèse où la condition d’immobilisation financière avait été ajoutée à la condition de participation minimale de 10%. Dans sa note, le ministre a toutefois pris soin de n’ajouter la condition d’immobilisation financière qu’à la seule condition de participation minimale de 2,5 millions euros (et donc pas à la condition de participation minimale de 10%), ce que la directive mère-filiale ne lui empêche nullement de faire.