La réforme du droit européen des brevets introduisant un brevet européen à effet unitaire s’accompagne de la création d’une Juridiction unifiée du brevet («JUB» ; «Unified Patent Court» ou «UPC»). Dans le contexte de ces évolutions du droit des brevets, certains aspects méritent une attention particulière. Dans cette note, nous nous intéresserons plus particulièrement à la possibilité d’«opt-out» offerte dans l’accord relatif à une Juridiction unifiée du brevet du 19 février 2013 («Accord UPC») (UPCA : Unified Patent Court Agreement)).
Qu’est-ce que l’ “opt-out” ?
Le système UPC repose sur la compétence exclusive de cette juridiction, non seulement pour les litiges relatifs aux brevets européens à effet unitaire, mais aussi pour les litiges relatifs aux autres brevets européens «ordinaires» dans la mesure où ils produisent des effets dans les pays couverts par l’Accord UPC.
Toutefois, pendant une période transitoire initiale de 7 ans (qui peut être prolongée de 7 ans au maximum, soit 14 ans au total), les titulaires de brevets peuvent décider que les litiges relatifs à leur brevet européen ordinaire (sans effet unitaire) soient portés devant les tribunaux nationaux. Un choix se présente donc entre la JUB et les tribunaux nationaux. Ce choix est important étant donné la portée des décisions de la JUB statuant sur un brevet européen ordinaire : ses décisions produisant des effets dans tous les pays parties à l’Accord UPC. La procédure UPC n’est donc pas sans risque: même un brevet européen ordinaire (sans effet unitaire) peut être déclaré nul par une seule décision de la JUB dans tous les pays où l’Accord UPC a été ratifié (à l’inverse, la procédure UPC offre l’avantage que le titulaire du brevet peut obtenir une interdiction de contrefaçon sur un territoire étendu).
Dans le cadre du système d’«opt-out», les titulaires de brevets européens, de demandes de brevets européens et de certificats complémentaires de protection («CCP») (SPC : Supplementary Protection Certificate) basés sur ceux-ci, ont la possibilité de soustraire ces droits de la compétence de la JUB pendant la période transitoire susmentionnée. En revanche, les brevets européens à effet unitaire ne sont pas couverts par ce régime transitoire et ne peuvent jamais faire l’objet d’un «opt-out».
Sans «opt-out», le brevet européen (ou le CCP) concerné relèvera de la compétence de la JUB dès l’entrée en vigueur de celle-ci (actuellement annoncée pour le 1er juin 2023). Le titulaire d’un portefeuille de brevets est libre de faire le choix de l’« opt-out » pour certains brevets et de soumettre les autres au système UPC. Si le choix de l’« opt-out » peut également être fait ultérieurement, il ne peut plus être fait une fois qu’un litige relatif au brevet européen en question est pendant devant la JUB.
Reporter ce choix n’est donc pas sans risque pour le titulaire du brevet, surtout s’il souhaite éviter que son brevet européen ne soit déclaré nul par une seule décision de justice applicable dans tous les Etat parties à l’Accord UPC.
Une décision d’«opt-out» est valable pendant toute la durée de vie du brevet, ou jusqu’à ce que le titulaire du brevet décide d’annuler l’«opt-out» et de faire tomber son brevet dans le champ de compétence de la JUB (ce qu’on appelle l’ «opt-in»). En revanche, une telle décision d’«opt-in» ne peut être à nouveau annulée.
Des informations officielles relatives au régime de l’«opt-out» dans le cadre de la JUB sont disponibles sur le site https://www.unified-patent-court.org/opt-out.
Qui peut déposer une déclaration d’ “opt-out” ?
L’«opt-out» est réservé aux titulaires de brevets. Les preneurs de licence ne peuvent donc pas déposer eux-mêmes directement une déclaration d’«opt-out» pour les brevets sur lesquels ils ont des droits. Les preneurs de licence qui bénéficieraient d’une clause d’«opt-out» sont invités à en discuter avec leur donneur de licence. A l’inverse, le titulaire du brevet (le donneur de licence) doit tenir compte des intérêts du preneur de licence, surtout s’il a l’intention de ne pas déclarer l’«opt-out», alors que le territoire de la licence en question comprend des Etats parties à l’Accord UPC. Il est donc préférable de revoir les accords de licence à la lumière de ces questions.
En ce qui concerne les copropriétaires de brevets, un «opt-out» ne peut être déclaré que si tous les copropriétaires font le choix de l’«opt-out».
Enfin, le sort d’un CCP suit celui du brevet : si un brevet européen fait l’objet d’un «opt-out», il doit en être de même pour le CCP qui en est issu. Si le titulaire du CCP n’est pas le titulaire du brevet, ils devront alors trouver un accord entre eux.
Pourquoi un «opt-out» ? quels sont les avantages et les risques ?
De manière générale, le système UPC présente à la fois des avantages et des inconvénients potentiels pour les titulaires de brevets. C’est également le cas en ce qui concerne l’«opt-out». Par conséquent, le choix de l’« opt-out » doit se faire au cas par cas, en fonction des circonstances d’espèce.
L’une des principales caractéristiques de la JUB réside dans le risque de révocation centralisée (annulation) du brevet, en ce compris pour les brevets européens classiques sans effet unitaire. Une décision négative pour le titulaire du brevet relative à la validité du brevet s’appliquera dans tous les États membres de l’Accord UPC. Le revers de la médaille est qu’une décision positive sur la validité du brevet sera également applicable dans tous les Etats parties à l’Accord UPC. Par conséquent, le système UPC peut être avantageux pour les brevets dits «forts et robustes», mais cela n’est pas vrai pour les brevets qui sont susceptibles d’être annulés. Pour ces derniers, une décision d’« opt-out » mérite à tout le moins d’être envisagée.
Aussi en matière de contrefaçon, une décision en faveur du titulaire du brevet produit ses effets dans tous les pays couverts par l’Accord UPC. Cet avantage disparaît si le titulaire fait le choix de l’«opt-out».
Si un brevet peut être considéré comme solide dans le sens où les chances de succès d’une demande reconventionnelle en annulation sont limitées, les avantages dus au champ d’application territoriale des décisions de la JUB plaident contre la décision d’«opt-out».
Il convient également de noter que, jusqu’à ce qu’une déclaration d’«opt-out» soit déposée, la JUB et les tribunaux nationaux ont une compétence partagée pendant la période transitoire (7 ans ou maximum 14 ans à partir de l’entrée en vigueur de l’Accord UPC). Chaque partie peut donc choisir la juridiction où intenter son action. Toutefois, cela signifie également que, sans «opt-out» exprès, un tiers peut, à tout moment, introduire une demande d’annulation du brevet en question directement devant la JUB, avec les conséquences territoriales potentiellement étendues que cela implique.
L’incertitude, notamment quant à la manière dont la jurisprudence de la JUB va évoluer, complique le choix de déclarer ou non l’«opt-out». Par prudence, un comportement tactique pourrait être adopté, par exemple en faisant rapidement le choix de l’«opt-out», en attendant ensuite de voir comment la jurisprudence de la JUB évolue pendant plusieurs années après son entrée en vigueur et en décidant sur cette base si un «opt-in» est approprié ou non. Cependant, dans certains cas, pour les titulaires qui feront le choix d’un «opt-out» et dont les brevets sont susceptibles de donner lieu à des litiges, ils renonceront à l’expérience et à l’influence qu’ils pourraient avoir sur la jurisprudence de la JUB. En particulier, durant la phase initiale, la JUB rendra des décisions qui orienteront sa jurisprudence future et les parties peuvent jouer un rôle à cet égard.
Enfin, le choix de l’«opt-out» nécessite également de faire une analyse des coûts. Si le titulaire d’un brevet européen sans effet unitaire fait le choix de l’«opt-out», il accepte, sauf «opt-in» au moment du dépôt effectif d’une action, de faire face à des procédures relatives au même brevet dans différents pays. Une mise en balance devrait donc être réalisée entre les coûts potentiellement plus élevés de ces procédures parallèles avec les coûts d’une procédure centralisée devant la JUB.
Comment et quand faire le choix de l’ «opt-out» ?
Les déclarations d’«opt-out» devront être déposées dans le «Case Management System», un système numérique en ligne qui est actuellement disponible en phase de test et qui sera d’une grande importance dans les procédures devant la JUB (qui se dérouleront principalement par voie électronique). Dans ce système en ligne, il faudra introduire le numéro du brevet ou de la demande de brevet, ensuite le titulaire devra confirmer qu’il a le pouvoir de déposer une déclaration d’«opt-out» pour le brevet concerné. Aucun coût n’est actuellement prévu pour un «opt-out». Toutefois, il est nécessaire de se préparer à accéder au système électronique et de détenir les certificats nécessaires.
La déclaration d’«opt-out» peut être déposée jusqu’à un mois avant la fin de la période transitoire prévue par l’Accord UPC, soit 7 ans après le début de la JUB le 1er juin 2023, soit avant le 1er mai 2030. Cette période transitoire initiale pourra être prolongée par les États parties à l’Accord UPC pour une période supplémentaire de 7 ans maximum, soit jusqu’en 2037. Il est donc possible que la possibilité de faire «opt-out» soit maintenue pendant 14 années supplémentaires.
Chaque «opt-out» s’applique pendant toute la durée de vie du brevet européen concerné, en principe 20 ans à dater du dépôt de sa demande.
En outre, avant l’entrée en vigueur de la JUB, une période de rodage ou période dite de «Sunrise» de 3 mois est prévue, au cours de laquelle des déclarations d’«opt-out» sont déjà possibles. La date de début prédéterminée de cette période de Sunrise est le 1er mars 2023. En l’utilisant, le titulaire du brevet évite tout risque de demande centralisée d’annulation devant la JUB lorsque celle-ci entrera en vigueur le 1er juin 2023. En effet, les déclarations d’«opt-out» déposées prendront effet dès le premier jour de la JUB.
Pour les titulaires de brevets qui ne font pas le choix de l’« opt-out » pendant la période de Sunrise, il convient de rappeler que, dès qu’un litige relatif à un brevet sans «opt-out» est porté devant la JUB, la possibilité d’«opt-out» cesse d’exister. A l’inverse, dès qu’un brevet « opt-out » (ou, le cas échéant, un CCP basé sur ce brevet) fait l’objet d’un litige devant une juridiction nationale, l’option «opt-in» n’est plus possible.
Cet article ne constitue pas un avis ou un conseil juridique. Veuillez-vous adresser au conseil juridique de votre choix avant d’agir sur la base des informations contenues dans cet article.