Jusqu'à présent, il n'y avait pas d'unanimité sur la nécessité d'obtenir l’accord du contribuable lorsque le fisc souhaite se rendre sans préavis dans les locaux du contribuable dans le cadre de son enquête. Dans un arrêt de principe du 16 juin 2023, la Cour de cassation a précisé que cet accord est indispensable pour que l'administration puisse accéder à des locaux privés. De plus, et c'est peut-être le plus important, la Cour a explicitement déclaré que cet accord doit demeurer présent en permanence. Cet arrêt est fondamental pour la protection des droits (fondamentaux) des contribuables pendant les visites fiscales.
Les faits et la décision de la Cour d'appel de Gand
Le contribuable était une société active dans la vente de voitures. Le siège de cette société était situé à la même adresse que le domicile de l’administrateur. L'administration fiscale a obtenu une autorisation du tribunal de police pour une visite domiciliaire afin de procéder à un contrôle TVA (la visite des locaux habités n'est autorisée qu'avec une telle autorisation). Une visite sans préavis a ensuite été effectuée au siège de la société, où se trouvait également le domicile de l’administrateur.
Le contribuable fait valoir que la visite n'a pas été effectuée valablement, citant la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (12 octobre 2017, n° 116/2017) qui tient que les fonctionnaires fiscaux ne peuvent pas forcer l’accès aux livres et documents de leur propre chef si le contribuable s'y oppose. Le contribuable souligne également que l’administrateur n'a pas consenti à la conduite de la visite. Pour prouver cela, il présente des enregistrements audios dans lesquels il dit ne pas avoir consenti à la visite de la maison. Le fonctionnaire du fisc répond qu'il a donné son accord plus tôt, de sorte que la visite s'est poursuivie.
La cour d'appel de Gand a conclu que l'on ne peut que déduire de l'arrêt cité de la Cour constitutionnelle que les fonctionnaires du fisc ne peuvent pas recourir à la coercition lors d'une visite. Toujours selon la cour d’appel, le contribuable ne doit pas donner son accord, puisqu'une autorisation a été accordée par le juge de police.
La cour a donc estimé qu'il n'y avait pas lieu de conclure à l'origine illicite des données obtenues lors de la visite.
La Cour de cassation n'est pas du même avis
La Cour de cassation commence par reproduire la disposition légale régissant le droit de visite de l'administration fiscale (en l'occurrence, l'article 63 CTVA, mais une règle similaire s'applique aux impôts sur les revenus, à savoir l’article 319 CIR92). Cette disposition légale exige une autorisation du juge de police pour la visite de bâtiments ou de locaux habités. La Cour de cassation ensuite affirme sans équivoque que les agents habilités ne peuvent pénétrer dans des locaux privés sans l'accord préalable du contribuable.
Ce faisant, la Cour de cassation précise qu'il existe effectivement une stratification en ce qui concerne l'accès aux locaux privés. Un premier niveau est l'autorisation du juge de police, qui est nécessaire pour que les fonctionnaires compétents puissent accéder aux locaux privés. Un deuxième niveau est l’accord du contribuable lui-même, qui est donc indispensable pour que l'administration soit effectivement autorisée à pénétrer dans les locaux privés. Bien que ce consentement doive en principe (et pour autant que l'administration fiscale respecte toutes les règles juridiques applicables) découler du devoir de coopération, l'administration fiscale ne peut pas obtenir l'accès d'elle-même si le contribuable s'y oppose et ne donne pas son accord. Cela vaut aussi pour les locaux professionnels.
En outre, la Cour estime expressément que le consentement du contribuable doit être présent en permanence. Les conclusions de l'avocat général, conformes à l'arrêt, montrent que cette exigence découle du droit au respect à la vie privée, auquel une telle visite constitue manifestement une ingérence. A propos, les mêmes droits fondamentaux entrent en jeu, selon la Cour constitutionnelle, lorsqu'il s'agit des visites des locaux professionnels.
En l'espèce, l’administrateur avait donc donné son consentement au début de la visite, mais l'avait apparemment retiré par la suite. La Cour de cassation conclut donc que la cour d'appel, en jugeant que le retrait par le contribuable de l'autorisation de pénétrer dans les locaux n'empêchait pas la poursuite de la visite, n'a pas justifié sa décision en droit. Ce faisant, la Cour de cassation a suivi les conclusions de son avocat général. L'arrêt attaqué est donc annulé.
Pour être complet, on peut encore reprocher à l'arrêt de la cour d'appel de Gand de tirer une conclusion erronée de l'arrêt de la Cour constitutionnelle. Ainsi, l'avocat général souligne à juste titre que la Cour constitutionnelle a fait une distinction entre, d'une part, le droit de recherche actif de l'administration et, d'autre part, la question préliminaire de savoir si et dans quelle mesure l'administration peut accéder aux locaux professionnels sans le consentement du contribuable. La Cour constitutionnelle s'est prononcée sur cette dernière question en ce sens : « Si [le législateur] avait voulu garantir l'accès aux locaux professionnels sans l’accord du contribuable, [il] aurait dû le prévoir expressément et il aurait dû en préciser les modalités, ce qui n'est pas le cas » (C. const. 12 octobre 2017, n° 116/2017, considérant B.10.2). La Cour constitutionnelle a souligné que cet arrêt ne concernait que la visite des locaux professionnels (puisque la question préjudicielle sur laquelle elle s'est prononcée ne concernait que cette situation). Toutefois, selon l'avocat général – et la Cour de cassation – ce qui précède s'applique également à l'accès à des locaux privés.
Conclusion : un arrêt de principe !
Non seulement la Cour de cassation juge qu'un accord préalable du contribuable est nécessaire pour que l'administration puisse accéder à des locaux privés, mais elle rend hommage au droit au respect à la vie privée en jugeant que si le contribuable retire son accord, la visite doit être interrompue.
La question qui se pose à présent est de savoir comment cette décision sera mise en pratique. Étant donné que les mêmes droits fondamentaux s'appliquent aux visites des locaux professionnels et privés, nous ne voyons aucune raison de ne pas appliquer cette jurisprudence aux visites des locaux professionnels. En principe, les fonctionnaires du fisc devront donc cesser immédiatement leur visite si le contribuable indique qu'il n’y donne plus son accord. Si les fonctionnaires poursuivent la visite, nous recommandons que le retrait du consentement soit explicitement consigné dans le procès-verbal ou constaté ou enregistré d'une autre manière (par exemple par un enregistrement vidéo ou audio). Et si le contribuable s'y oppose au début de la visite, les fonctionnaires ne peuvent pas procéder à la visite de force. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le législateur a introduit le régime de l'astreinte par la loi du 20 novembre 2022 afin de pouvoir contraindre le contribuable qui refuse de manière injustifiée l'accès, à l’accorder quand même sous la pression pécuniaire (voir aussi notre précédente contribution sur cette loi).
Auteurs : Svjatoslav Gnedasj, Partner et Elise Reynders, Avocate