Introduction
Depuis 2019, le législateur belge a entamé l’adoption de réglementations destinées à limiter la liberté contractuelle dans les relations B2B, en s’inspirant grandement des principes applicables visant à protéger les consommateurs dans les contrats B2C. Certaines pratiques commerciales dans le secteur alimentaires ont également été interdites.
L’objectif ouvertement affiché est de protéger les entreprises jugées plus faibles ou dépendantes sur les marchés économiques.
La législature parlementaire se clôture actuellement avec pour horizon les élections du 9 juin prochain.
Avant cette échéance, deux projets d’arrêtés royaux viennent d’être adoptés visant à étendre encore davantage, en particulier dans le secteur alimentaire, les principes rendus applicables depuis quelques années.
Si l’adoption de ces réglementations a pu passer inaperçue dans la multitude des projets communiqués en période électorale, les conséquences pour les acteurs économiques sont très importantes et devront être intégrées par ceux-ci.
Rappel des réglementations récentes
La prohibition des clauses abusives B2B
Le législateur a décidé d’appliquer aux contrats entre entreprises des principes similaires à ce qui existe déjà depuis des années dans les contrats conclus avec les consommateurs, à savoir sanctionner certaines clauses jugées abusives.
La loi a ainsi instauré un principe général pour les relations B2B selon lequel les clauses qui créent un déséquilibre manifeste entre les parties professionnelles à un contrat sont abusives et dès lors nulles.
Deux listes ont été établies dans cette réglementation : des clauses interdites en toutes circonstances et des clauses présumées abusives.
Les clauses interdites, dites « noires », sont les clauses par lesquelles :
- une partie faible est liée par des engagements alors que l’autre partie est totalement libre de se délier des siens ;
- une partie se réserve seule le droit d’interpréter le contrat conclu ;
- une partie renonce à l’avance à tout recours contre l’autre partie ;
- il est constaté qu’une partie a adhéré à des principes et conditions dont elle n’a pourtant pas eu l’occasion de prendre connaissance.
Les clauses présumées abusives, dites "grises", et dont il est donc possible de prouver qu’elles ne le sont pas effectivement, sont les clauses qui :
- permettent à une entreprise de modifier le prix et les conditions du contrat, et ce sans raison valable ;
- permettent à l’entreprise de se dégager de toutes responsabilité, de sa faute grave intentionnelle (dol) ou même de sa faute lourde ;
- lient les parties sans un délai raisonnable pour résilier le contrat ;
- permettent un renouvellement d’un contrat sans prévoir une possibilité d’opposition à ce renouvellement ou un délai raisonnable de résiliation ;
- limitent les modes de preuve pouvant être apportés par une partie ;
- fixent des clauses pénales excessives ;
- placent les risques commerciaux sur une entreprise alors que, selon le secteur économique concerné, ils doivent peser sur l’autre partie.
Ces interdictions ne sont pas limitées et le caractère abusif de toute clause peut être constaté dans la pratique si, à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres, elle crée un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties.
Les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire
Cette réglementation plus récente vise à garantir une meilleure protection des fournisseurs de petite et moyenne taille face aux acheteurs de plus grande taille, notablement dans le monde de la grande distribution alimentaire.
Certaines pratiques commerciales énumérées dans la loi sont ainsi toujours interdites (liste noire).
D'autres pratiques de marché sont interdites à moins que le fournisseur et l'acheteur n’enaient préalablement convenu en termes clairs et dépourvus d’ambiguïté (liste grise).
Les pratiques suivantes sont dans tous les cas considérées comme illégales :
- Les délais de paiement supérieurs à 30 jours ;
- Des délais d'annulation trop courts pour trouver une alternative (moins de 30 jours avant la livraison est considéré comme trop court) ;
- Une modification unilatérale des termes essentiels du contrat ;
- Des paiements non liés à la vente des produits ;
- Les paiements pour détérioration ou perte sans faute de la part du fournisseur ;
- L’obtention, utilisation ou divulgation illégale de secrets d’affaires ;
- le fait de menacer ou de procéder à des représailles commerciales ;
- le fait de demander une compensation au fournisseur pour le traitement des plaintes.
Les pratiques reprises dans la liste grise emportent une présomption d'illégalité. Ces pratiques concernent :
- Le retour des produits invendus sans paiement ;
- Les frais de stockage, d'exposition ou d'inclusion dans la gamme ;
- Le financement par le fournisseur de remises et de promotions ;
- Les paiements pour les frais de publicité et de marketing ;
- Les paiements pour le personnel chargé de la mise en place des zones de vente ;
La présomption d'illégalité de ces clauses grises peut être renversée par :
- une convention claire et non ambiguë concernant ces clauses dans l'accord de livraison ;
- l’ajout d'une estimation écrite du montant à payer, accompagné d'une estimation des coûts et des éléments sur lesquels ce calcul est basé.
En d'autres termes, une clause considérée comme une clause grise pourrait être déclarée valide si le fournisseur sait exactement à quoi il s'engage, dans le principe et dans les chiffres. En outre, une estimation des coûts et de l'impact économique doit être ajoutée à ces clauses.
Nouvelles réglementations
L’extension des clauses abusives B2B
Le premier projet d’arrêté royal apporte des ajouts aux listes noire et grise de clauses abusives. Ces ajouts s’appliquent spécifiquement aux accords de partenariat commercial concernant le commerce de détail en magasin non spécialisé à prédominance alimentaire, notamment les contrats de franchise.
Dans la liste noire (clauses en tout état de cause illégales), les clauses suivantes sont ajoutées (et donc interdites) pour le secteur concerné :
- les clauses qui réduisent de manière démesurée la responsabilité de celui qui octroie un droit d’exploitation quant à son obligation de livraison vis-à-vis de celui qui bénéficie de ce droit ;
- les clauses interdisant de se préparer à ou de commencer des négociations pendant le délai de préavis ou au cours du délai couvert par une clause de non-concurrence ;
- les clauses imposant à la personne qui reçoit le droit d’exploitation de supporter plus de la moitié du coût des activités promotionnelles organisées ;
- les clauses imposant le recours exclusif à une instance d’arbitrage déterminée ;
- les clauses imposant le recours exclusif au juge territorialement compétent de celui qui octroie le droit d’exploitation ou à un juge dont le siège est situé dans une autre région linguistique que la région linguistique du siège de celui qui reçoit ce droit ;
En ce qui concerne la liste grise (clauses présumées illégales jusqu'à preuve du contraire), les clauses suivantes sont ajoutées (et donc en principe interdites):
- les clauses prévoyant une évaluation forfaitaire fixant un prix qui serait manifestement déraisonnable par rapport à une valorisation normale d'un fonds de commerce ou des actions d'une société ;
- les clauses obligeant contractuellement la poursuite des activités d'une entreprise structurellement déficitaire ;
- les clauses permettant à la personne qui octroie le droit d’exploitation de mettre fin à l'accord de partenariat commercial par l'application d'une clause résolutoire expresse (soit une résolution extra-judiciaire pour faute de l’autre partie)
L’extension des pratiques commerciales déloyales
Le second projet d’arrêté royal complète les listes de pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire. Il a été adopté dans le contexte de la crise agricole du début de l’année 2024.
La liste noire est complétée par les interdictions suivantes :
- Le déréférencement déloyal de produits et le déréférencement sans justification écrite préalable ;
- l’imputation automatique par l’acheteur de dommages et intérêts ;
- la compensation unilatérale par l’acheteur de pénalités non indemnitaires ; et
- la compensation unilatérale par l’acheteur de dommages et intérêts, sans justification écrite préalable.
La liste grise est complétée par :
- l’interdiction pour l’acheteur d’acheter des produits au fournisseur à un prix inférieur aux coûts de production de ce dernier. Cette interdiction complète l’interdiction de revente à perte visée à l’article VI.116 du Code de droit économique, laquelle ne s’applique pas aux producteurs de denrées alimentaires ; et
- l’interdiction du refus de renégociation en cas de circonstances imprévisibles.
Conclusion
Ces arrêtés royaux n’ont pas encore été publiés et leur date d’entrée en vigueur n’est pas encore connue.
Dans tous les cas, ces nouveaux principes vont amener les acteurs économiques à devoir reconsidérer de manière extensive leurs cadres contractuels et les pratiques commerciales en place avec les différents partenaires.