12/04/11

L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 1er mars 2011 : la fin de la tarification homme-femme en Europe

Contexte et procédure

Jusqu’à ce jour, la loi belge du 21 décembre 2007 autorisait les différenciations dans les primes et les presta-tions en assurance vie. Test-Achats avait introduit un recours en annulation de cette loi devant la Cour constitu-tionnelle belge le 26 juin 2008. Cette loi étant basé sur une dérogation, permise par la Directive Genre (article 5, al. 2 de la directive 2001/113), et prévoyant de s’écarter de la règle fondamentale de l’égalité des primes et prestations pour les hommes et les femmes dans tous les contrats d’assurance, la Cour constitutionnelle belge a demandé à la CJUE de statuer sur la compatibilité de cette dérogation avec le principe d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, principe de base du droit communautaire.

La Cour a suivi l’argumentation de l’avocat général Juliane Kokott dans ses conclusions rendues le 30 septem-bre 2010 (et telles que discutées dans notre précédente e-zine). L’avocat général avait estimé que l’emploi de facteurs actuariels basés sur le sexe était incompatible avec le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes. Malgré le fait que l’avocat général suggérait que dans certains cas l’emploi de tarifs d’assurance diffé-renciés pour les hommes et les femmes pouvait être légitime, la Cour a déclaré l’article 5, al. 2 invalide.

Période transitoire

Là où l’avocat général avait proposé une période transitoire de trois années, afin d’éviter une trop grande insé-curité juridique pour tous ceux qui font foi en la validité des dispositions nationales adoptées sur base de l’article 5, al. 2, la CJUE a décidé de raccourcir cette période transitoire. C’est ainsi que dès le 21 décembre 2012 (soit dans moins de deux ans), il ne sera plus possible d’utiliser le sexe comme un facteur de risque dans les contrats d’assurance.

Pourquoi cette date ? Pour la directive genre, le 21 décembre 2012 était la date ultime avant laquelle les Etats membres devaient revoir leur décision de faire usage de l’option de l’article 5, al. 2. L’un des arguments princi-paux de la Cour l’ayant conduite à décider que l’article 5, al. 2 était invalide fut l’absence, dans la Directive Gen-re, d’une disposition sur la durée d’application des différences entre les primes et les prestations individuelles, qui pouvaient continuer à s’appliquer après cette date. La possibilité, pour les Etats membres, d’autoriser les assureurs à appliquer un traitement différencié aux hommes et aux femmes sans limitation dans le temps n’est pas compatible, selon la CJUE, avec le but de la Directive Genre, à savoir l’application de la règle des primes et des prestations unisexes. La Cour a donc décidé que l’article 5, al. 2 était invalide avec effet au 21 décembre 2012.

Principe d’égalité de traitement

Mis à part le risque que la dérogation à la règle unisexe soit indéfiniment permise, la Cour se réfère également au principe primordial d’égalité de traitement des femmes et des hommes, consacré aux articles 21 et 23 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il faut noter que la décision de la Cour est l’une des premières décisions de l’ère post-Traité de Lisbonne qui se réfère explicitement à la Charte comme pierre de touche pour décider de la validité de la législation européenne.

Depuis le 1er décembre 2009 (date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne), la Charte possède en effet la même valeur juridique que les traités européens. La Vice-Présidente de la Commission européenne Viviane Reding a par ailleurs déjà déclaré que l’arrêt de la Cour démontre l’importance de la conformité de la législation proposée ou amendée par les institutions européennes par rapport à la Charte. La commissaire a estimé impor-tant de noter que la dérogation permise aux assureurs par la Directive Genre ne faisait pas partie de la proposi-tion initiale de directive de la Commission, et que c’était le Conseil qui avait ajouté cette dérogation au cours du processus législatif.

Argument de la comparabilité

Dans son raisonnement, la CJUE se réfère explicitement à l’un des arguments avancés par le Conseil, au cours de la procédure, pour défendre la dérogation de l’article 5, al. 2. Le Conseil avait argumenté que l’article 5, al. 2 ne vise qu’à permettre que « des situations différentes ne soient traitées de manière égale ». Aux yeux du Conseil, les situations des assurés de sexe féminin et de sexe masculin ne sont pas comparables, puisque les niveaux de risque assurés sont susceptibles d’être différents chez les femmes et les hommes. La Cour confirme que, selon sa jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Elle se réfère également à sa jurisprudence précédente, où elle supposait que la comparabilité des situations devait être appréciée à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui instituait la distinction en cause. Puisque le considérant 18 de la Directive Genre stipule expressément qu’« afin de garantir l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, l’utilisation du sexe en tant que facteur actuariel ne devrait pas entraîner pour les assurés de différences en matière de primes et de prestations », la Cour a estimé que les situations respectives des femmes et des hommes à l’égard des primes et prestations d’assurance contractées par eux sont comparables.

Vu que l’article 5, al. 2 de la Directive Genre autorise les assureurs à effectuer des distinctions entre les hom-mes et les femmes aux fins du calcul des primes et des prestations, et ceci sans limitation dans le temps, la violation des articles 21 et 23 de la Charte était établie.

Pas de possibilité de justification

Il faut noter que le raisonnement adopté par la Cour est beaucoup plus simple que celui avancé par l’avocat général Juliane Kokott dans ses conclusions préalables. L’avocat général avait, il est vrai, proposé à la Cour de déclarer l’article 5, al. 2 invalide, mais elle acceptait cependant toujours l’admissibilité de la discrimination sur base du sexe, dans des cas limités. Elle suggérait que, malgré son constat qu’aucune différence pertinente ne pouvait être déduite de simples différences statistiques entre hommes et femmes (espérance de vie différente entre des assurés de sexe masculin et de sexe féminin, différence dans leur inclination à recourir à des presta-tions médicales, ou à prendre des risques au volant), des différences biologiques clairement démontrables entre les sexes pouvaient être considérées comme une cause de justification pour un traitement différencié. Là où elle déclarait que de simples considérations financières, telles que le risque d’une augmentation des primes pour une partie des assurés, ne pouvaient constituer un motif objectif pour admettre une discrimination sur base du sexe, un risque sérieux de rupture de l’équilibre financier des régimes d’assurances privés pouvait quant à lui s’avérer justifiable.

Se basant sur les portes que l’avocat général semblait laisser ouvertes quant à la possibilité de justifier la dis-crimination directe en matière d’assurances, la CJUE aurait pu donner à la Cour constitutionnelle belge une interprétation contraignante de l’article 5, al. 2, lui donnant des instructions claires quant aux conditions sous lesquelles une justification pouvait avoir lieu.

En considérant que l’article 5, al. 2 est dans tous les cas contraire au principe fondamental d’égalité de traite-ment entre les hommes et les femmes, la Cour a confirmé la position stricte qu’elle avait déjà adopté en 2007 dans le cadre de l’affaire Lindorfer (C-227/04 P). Dans cette affaire, la CJUE avait décidé que l’usage d’éléments de calculs actuariels (dans le contexte des pensions des fonctionnaires européens) n’était pas com-patible avec la nécessité d’une saine gestion financière d’un plan de pension. Dans l’affaire Lindorfer, la CJUE avait tout au plus admis que la discrimination directe pouvait dans certains cas être justifiée. Dans le cas pré-sent, il semblait n’y avoir aucune place pour une justification. Ceci résulte en effet du fait que la Cour a dû se mouvoir dans les limites de la Directive Genre, qui exclut clairement la possibilité de justification en cas de dis-crimination directe.

Application dans le temps

Selon la Cour, l’article 5, al. 2 de la Directive Genre est donc invalide à partir du 21 décembre 2012. La question qui se pose concerne donc les conséquences de cet arrêt du 1er mars 2011 sur les contrats qui seront toujours en cours au 21 décembre 2012. La Cour n’apporte aucune précision à ce sujet dans son arrêt.

L’on pourrait prétendre que cet arrêt n’aura des conséquences que pour les contrats qui seront conclus après le 21 décembre 2012. Un argument en faveur de cette théorie vient du fait que l’on doit interpréter l’application du délai transitoire demandé par la Cour de justice par analogie avec le délai transitoire originellement prévu par l’article 5, al. 1er de la Directive Genre. Cet article demandait en effet aux Etats-membres de veiller à ce que les règles unisexes pour les primes et les prestations dans les contrats d’assurance qui tombaient sous le champ d’application de la Directive Genre, soient uniquement applicables aux contrats conclus après le 21 décembre 2007. Pour rencontrer les préoccupations qui sont à la base de la période transitoire de l’article 5, al. 1er (pré-vention d’un réajustement soudain du marché), l’on pourrait supposer que ce principe serait également applica-ble aux conséquences de l’invalidité de l’article 5, al. 2 de la Directive Genre. Ceci aurait pour conséquence que seuls les contrats conclus après le 21 décembre 2012 devraient répondre à l’exigence de l’égalité des primes et prestations entres hommes et femmes.

Bien que cette option semble la plus évidente, l’on peut émettre des doutes sur la légitimité de donner de telles conséquences à l’arrêt de la Cour de Justice. Si l’on s’en réfère aux conclusions de l’avocat général Juliane Kokott, elle précise explicitement qu’après l’écoulement de la période transitoire qu’elle proposait (qui durait plus longtemps, à savoir 3 ans à partir de l’arrêt), toutes les primes d’assurance futures, pour le calcul desquel-les les compagnies font actuellement encore des distinctions en fonction du sexe de l’assuré, devraient cepen-dant être aménagées d’une manière qui ne tient pas compte du sexe de l’assuré ; il en va de même pour les prestations financées au moyen des nouvelles primes. Elle précisait que cette règle devait aussi valoir pour les contrats d’assurance en cours. Par analogie avec le règlement prévu dans le protocole Barber (concernant les effets dans le temps des pensions similaires pour les hommes et les femmes en matière de pensions complé-mentaires), auquel l’avocat général renvoyait précisément, l’arrêt de la Cour de justice du 1er mars 2011 devrait être appliqué dans le temps de manière à ce que les primes et prestations ayant trait à la période précédant la fin de la période transitoire (prenant fin le 21 décembre 2012), peuvent toujours être différenciées sur base du sexe. Les primes et prestations afférentes à la période après la fin du régime transitoire ne pourront plus faire de distinction sur base du sexe.

Il n’est en tout cas pas exclu que suite à l’incertitude créée par cet arrêt du 1er mars 2011 pour les contrats en cours, les Etats membres s’orienteront à nouveau (comme dans le cas Barber) vers une explication interprétati-ve concernant l’application dans le temps de cet arrêt. Les assureurs devront approcher la Commission euro-péenne afin d’obtenir une interprétation qui leur sera favorable. L’on peut en effet déduire de l’arrêt du 1er mars 2011 qu’il y a encore de la place pour une action législative, puisque cet arrêt permet toujours au législateur de l’Union de mettre en oeuvre le principe de l’’égalité entre les femmes et les hommes, et plus précisément son application aux primes et prestations unisexes, avec des périodes transitoires progressives et adaptées, en tenant compte de l’évolution des conditions économiques et sociales dans l’Union (considérants n° 20 à 22 de l’arrêt). Ceci constitue certainement une piste à méditer pour les compagnies d’assurances…

Conséquences légales – Belgique

La réponse de la CJUE à la question préjudicielle de la Cour constitutionnelle belge n’est pas une décision concernant le litige au fond. Il revient évidemment à présent à la Cour constitutionnelle belge de trancher dans ce cas précis, et ce conformément à l’arrêt de la CJUE. La Cour constitutionnelle belge devra décider de la compatibilité de la loi belge du 21 décembre 2007 modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la dis-crimination entre les femmes et les hommes, pour ce qui est de l'appartenance sexuelle en matière d'assuran-ce, avec le principe d’égalité contenu dans la Constitution. Dans les circonstances actuelles, la Cour constitu-tionnelle belge sera obligée d’accepter que l’article 5, al. 2 est contraire au principe d’égalité contenu dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Si, comme on le suppose, les dispositions sur l’égalité dans la Constitution belge doivent être lu en combinaison avec celles de la Charte, la Cour constitutionnelle belge n’aura d’autre choix que d’annuler la loi du 21 décembre 2007. Vu que cette loi contenait une disposition qui remplaçait l’article 10 de la loi du 10 mai 2007, et qui autorisait explicitement les différences en matière de primes et de prestations en assurance vie, ce précédent article 10 « renaîtra », avec pour conséquence que les primes et prestations unisexes seront rendues obligatoires dans tous les contrats d’assurances.

Reste à savoir si la Cour constitutionnelle belge pourra conserver les conséquences de la loi annulée du 21 décembre 2007 jusqu'au 20 décembre 2012, postposant ainsi l’entrée en vigueur de cette loi. Dans les récentes affaires Filipiak et Winner-Wetten (C-314/08 et C-409/06), la CJUE a déjà décidé que le report, par une cour constitutionnelle, de la date à laquelle la législation nationale perdra sa force obligatoire, ne fait pas obstacle à ce que les cours nationales, conformément au principe de la primauté du droit communautaire, laissent inappli-quées les dispositions nationales, si elles les jugent contraires au droit de l’Union (telle que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne). Puisque dans ce cas c’est la CJUE elle-même qui a imposé une période transitoire, expirant le 21 décembre 2012, il semble peu probable que les cours et tribunaux belges seront en-clins à accepter que la loi du 21 décembre 2007 perdrait sa force obligatoire avant le 21 décembre 2012. L’on peut dès lors raisonnablement avancer que jusqu’au 21 décembre 2012, les assureurs belges continueront donc leur “business as usual”.

Conséquences légales – autres Etats membres

Bien que la décision de la CJUE fasse suite à une question de la Cour constitutionnelle belge, il est clair que cette décision affectera les autres Etats membres. Comme l’étude du Civic Consulting sur la discrimination en matière de services financiers dans l’UE l’avait pointé l’année dernière, les 27 Etats membres ont tous fait usa-ge de l’option de l’article 5, al. 2 de la Directive Genre. La plupart des Etats membres n’ont pas uniquement accordé des dérogations à la tarification unisexe en assurance vie, mais également dans d’autres produits d’assurance. La CJUE ne fait pas de distinction sur le fait que la règle unisexe devrait uniquement s’appliquer à l’assurance vie ou à l’assurance non-vie; l’article 5, al. 2 a été déclaré intégralement invalide.

Suite à l’invalidité de cet article, toutes les législations nationales qui ont été adoptées sur cette base doivent être rejetées par les cours nationales (qu’elles concernent des assurances vie ou des assurances non vie) et ceci à partir du 21 décembre 2012. Les législateurs nationaux devront procéder à des modifications législatives avant cette date. Dans tous les cas, ces législateurs seront peu empressés de révoquer cette dérogation avant la fin de la période transitoire.

Conséquences pour les produits d’assurance

En Belgique, l’arrêt de la CJUE affectera uniquement l’assurance vie, puisque seul ce type de produit connaît une dérogation à la règle générale de l’égalité des primes pour les hommes et les femmes. L’impact en assu-rance vie sera cependant considérable. Les primes les plus faibles augmenteront au niveau des primes les plus élevées, et les prestations les plus généreuses seront réduites au niveau des moins généreuses. Les assureurs argumentent que tout amélioration des conditions d’assurance dans un groupe de consommateurs (tel que les femmes) ne peut avoir lieu qu’au détriment des autres groupes de consommateurs.

Les conséquences de cet arrêt seront bien plus importantes dans d’autres Etats membres, qui ont dérogé au principe de la tarification unisexe dans une large gamme de produits d’assurance. Comme mis en exergue dans une étude de l’Association of British Insurers (ABI) de 2010, l’impact de l’interdiction de l’usage du sexe comme facteur de risque variera selon le produit d’assurance.

De manière générale l’on s’attend à ce qu’en cas de tarification unisexe les femmes paieront plus en assurance RC auto, en assurance vie et en assurance solde restant dû, alors que dans le cas des rentes viagères (pen-sions privées), ce sont les hommes qui devront payer plus. L’impact du passage vers la tarification unisexe sur tel produit ne dépendra pas uniquement du type de produit, mais également de la proportion respective d’hommes et de femmes dans le portefeuille de l’assureur. Les assureurs avec un portefeuille plus équilibré, comprenant autant d’hommes que de femmes, auront plus facile à adapter leurs produits à une tarification uni-sexe qu’un assureur dont le portefeuille n’est pas autant équilibré. L’on s’attend à ce que les gros assureurs du marché auront plus facile à passer vers une tarification unisexe pour les primes et les prestations puisqu’ils disposent de plus de données statistiques suite à leur large expérience en matière de sinistralité.

Coûts

La remise en cause de l’interdiction d’un critère aussi important que le sexe ne pourra être réalisée sans frais. L’ABI et le CEA (le Comité Européen des Assureurs) ont confirmé que dans les vingt prochains mois, les assu-reurs devront procéder à de larges aménagements de leurs tarifs, mais aussi de la vente et du marketing de leurs produits d’assurance. En sus d’un aménagement des primes, il faudra adapter les conditions des produits. Les consommateurs seront en droit de recevoir de nouvelles informations. Les systèmes informatiques devront être modifiés et les données devront être réévaluées. Les courtiers d’assurance aussi devront être en posses-sion des tarifications exactes et leur matériel marketing devra être mis à jour. Tous ces facteurs seront respon-sables, à tout le moins à court terme, d’une augmentation des primes tant pour les femmes que pour les hom-mes.

Méthodes alternatives de tarification

L’une des conséquences possibles de l’interdiction d’une tarification basée sur le sexe sera que les assureurs chercheront des facteurs alternatifs pour coller au plus près du risque, et qui sont toujours vérifiables. Songeons aux circonstances socio-économiques, telles que la profession de l’assuré ou son lieu de résidence, ou aux habitudes individuelles telles la pratique d’un sport. Même si l’usage de tels facteurs de risque entraînera certai-nement une augmentation des coûts, des prestations compétitives pourront être générées pour ceux qui seront capables de développer de telles méthodes alternatives de tarification. Même si certains facteurs de risques alternatifs, qui sont proches du facteur sexe, comme par exemple la profession (pompier ou puéricultrice ?), pourront donner lieu à discrimination indirecte, celle-ci pourra être justifiée en démontrant un but légitime, et que les moyens pour atteindre un tel but sont appropriés et nécessaires.

Qu’en est-il en matière de pensions?

La CJUE ayant uniquement eu à se prononcer sur la validité d’une disposition de la Directive Genre, son arrêt ne devrait pas avoir d’incidence directe sur les secteurs non réglementés par cette directive. Comme clairement mentionné dans l’article 3,4 de la Directive Genre, celle-ci ne s’applique pas aux questions relatives à l’emploi et au travail. Ceci signifie que la directive s’applique uniquement aux assurances et aux retraites qui sont privées, volontaires et non liées à la relation de travail (voy. le considérant n° 15 de la Directive Genre). Le traitement identique pour les hommes et les femmes en matière de régimes de pensions professionnels est réglé par une autre directive (2006/54/EC), qui contient des dérogations explicites pour l’usage de facteurs actuariels basés sur le sexe.

L’on ne peut cependant pas exclure que des procédures comparables verront le jour, quant à la validité de ces dérogations. Dans tous les cas, les secteurs de l’emploi et du travail ne seront pas affectés tant qu’une telle procédure n’est pas initiée, ou qu’une réforme législative soit mise en place.

Qu’en est-il de l’âge et du handicap ?

Dans notre précédente e-zine nous mentionnions déjà qu’un arrêté qui déclarerait l’article 5, al. 2 de la Directive Genre invalide, et qui dès lors imposerait des tarifs unisexes dans les contrats d’assurances, aurait potentielle-ment des effets additionnels sur la segmentation qui prend en compte l’âge et le handicap. Ceci concerne des facteurs de risque largement utilisés dans la détermination des primes et des prestations en assurance maladie, assurance vie et assurance RC auto. Des négociations ont actuellement encore cours sur le texte d’une nouvel-le directive, qui comporterait une interdiction de discrimination sur base (entre autres) de l’âge et du handicap dans l’accès aux biens et la fourniture de services. La proposition initiale de directive introduite par la Commis-sion comportait une disposition qui autorisait, dans le domaine des services financiers (dont les assurances), des différences de traitement sur base de l’âge et du handicap, dans des termes relativement semblables à ceux de l’article 5, al. 2 de la Directive Genre. Il va de soi que si le Conseil a pour objectif de maintenir une telle dérogation pour les contrats d’assurance ou les produits financiers dans cette directive, il faut s’attendre à ce que, compte tenu de l’arrêt de la CJUE sur l’égalité en matière de sexe, une limitation temporelle soit prévue. C’est en effet le risque de la persistance indéfinie d’une dérogation qui a été utilisé pour déclarer l’article 5, al. 2 de la Directive Genre invalide. Prévoir une limitation temporelle pour la dérogation en matière d’âge et de han-dicap créerait, dans les procédures futures, un argument juridique fort en faveur d’une telle dérogation.

Conclusion

L’arrêt de la CJUE en matière de discrimination basée sur le sexe pour les produits et les prestations d’assurances peut avec certitude être qualifié d’historique. C’est la première fois que la CJUE se déclare si profondément opposée à l’usage de facteurs actuariels liés au sexe dans le calcul des primes et des presta-tions. Puisque des situations comparables ne peuvent être traitées différemment, la Cour a considéré que la possibilité de différences entre les hommes et les femmes en matière de primes et de prestations d’assurance était discriminatoire. La Cour a aussi considéré qu’il n’y avait aucune possibilité de justification d’un traitement différencié des hommes et des femmes en matière d’assurance.

L’avocat général avait cependant suggéré que dans certains cas, comme la présence de différences biologi-ques claires entre hommes et femmes, ou dans des situations de risque sérieux de rupture de l’équilibre finan-cier des assureurs, des différences basées sur le sexe pour les primes et les prestations pouvaient être justifia-bles. Bien que la CJUE encourage implicitement les assureurs à faire usage de facteurs de risques alternatifs, correspondant fortement au risque, aucune évaluation n’a été faite quant à la viabilité d’une solution où le sexe est utilisé en combinaison avec des facteurs de risques alternatifs. Dans cette hypothèse, les assureurs devront être créatifs pour trouver des solutions économiquement viables pour rendre leur tarification la plus proche pos-sible des risques personnels de leurs assurés. L’avantage de cet arrêt est qu’il instaure un level-playing field, qui ne sera plus dépendant des choix faits par les différents Etats membres en vertu de la dérogation permise à l’article 5, al. 2.

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