La boîte mail des travailleurs contient des informations précieuses. Un employeur pourrait-il lire les mails de ses travailleurs absents et les utiliser pour invoquer un licenciement pour motif grave ?
Aujourd’hui, travailler sans utiliser Internet et les courriers électroniques est inconcevable. Dans le but d’assurer la continuité de son entreprise, un employeur pourrait être tenté de consulter les mails de ses travailleurs absents. Bien que cette intention soit légitime, la prudence est toutefois de mise ! Un tel accès aux correspondances d’un collaborateur soulève en effet la question du respect des règles relatives à la vie privée.
Il s’agit en fait de parvenir à trouver un équilibre entre d’une part, ces droits fondamentaux et, d’autre part, l’exercice de l’autorité patronale afin d’éviter toute ingérence disproportionnée dans la vie privée des travailleurs.
Les partenaires sociaux se sont emparés de la question et ont conclu une CCT n° 81 relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l’égard du contrôle des données de communication électronique en réseau. Celle-ci ne solutionne cependant que partiellement le problème. En effet, elle ne vise que les données de communication électronique. Rien n’est prévu, par exemple, quant aux fichiers du travailleur qui se trouvent sur son ordinateur.
Nous revenons sur les principes applicables en la matière dans les lignes qui suivent.
1. Mesures préventives
Afin d’éviter que ne survienne le besoin de l’employeur d’accéder aux courriers électroniques de ses collaborateurs absents, des mesures organisationnelles permettant d’assurer la continuité des activités de l’entreprise doivent être adoptées. S’agissant des absences prévues, on imposera aux travailleurs d’activer leur “out of office reply” qui indiquera la période d’absence ainsi que la personne à contacter en leur absence. En cas d’absence imprévue, cette réponse automatique pourra être activée par une personne de confiance. Par ailleurs, il convient de recommander aux travailleurs d’utiliser le moins possible leur boîte mail professionnelle pour les communications électroniques privées.
2. Dans quelle mesure l’employeur peut-il accéder aux mails de ses travailleurs?
L’employeur peut accéder à la boîte mail de ses collaborateurs absents afin d’assurer la continuité de la gestion des affaires de l’entreprise. L’exercice de cette prérogative est toutefois encadré par les principes de transparence, de finalité et de proportionnalité.
a) principe de transparence
L’employeur se doit d’informer ses travailleurs sur le fait qu’il pourrait éventuellement contrôler le contenu de leur boite mail.
L’outil d’information par excellence en la matière est le règlement de travail. Il est recommandé de prévoir une « ICT Policy » qui réglementera l’utilisation des mails par les travailleurs ainsi que tous les aspects du contrôle exercé par l’employeur.
Les clients du secrétariat social Group S peuvent obtenir un modèle de « ICT Policy » auprès de leur gestionnaire de dossier afin de l’intégrer au règlement de travail de leur entreprise (DocGenerator n° 91109 → 91116).
Le consentement du travailleur est essentiel pour l’admissibilité du traitement de telles données. Il ressort toutefois de la récente jurisprudence rendue en la matière que cette mention dans le règlement de travail ne suffit plus. L’employeur prendra dès lors soin de recueillir le consentement individuel des travailleurs concernés. Cela peut se faire par la signature soit du contrat de travail contenant une clause particulière en la matière soit d’une convention annexe au contrat de travail. De cette manière, les travailleurs marquent expressément leur accord pour le traitement de leurs données personnelles.
Les clients du Group S peuvent s’adresser à leur gestionnaire de dossier pour obtenir un modèle d’accord individuel (DocGenerator n° 92386).
Par ailleurs, afin de se conformer au R.G.P.D., cela devra également être indiqué dans le registre de des données.
Enfin, pour compléter son devoir d’information, l’employeur veillera également à régulièrement conscientiser ses travailleurs quant aux comportements à adopter pour limiter un tel accès à leurs courriers électroniques.
b) principe de finalité
En vue de protéger la vie privée du travailleur, l’employeur veillera à poursuivre un but légitime lorsqu’il accèdera à la boîte mail de son travailleur (p.ex. assurer le suivi de la correspondance professionnelle avec les clients en cas d’absence d’un collaborateur).
c) principe de proportionnalité
L’examen des correspondances ne doit pas être excessif au regard de la finalité poursuivie. En d’autres termes, celui-ci doit être proportionnel et se limiter au strict nécessaire. Par conséquent, si le travailleur peut également utiliser sa boîte mail à des fins privées, l’employeur devra filtrer les correspondances professionnelles.
3. L’employeur peut-il apporter la preuve d’un motif grave par le biais de la consultation des mails de son travailleur ?
Dans un récent arrêt, la Cour du travail de Bruxelles a eu l’occasion de se positionner par rapport à cette question. En l’espèce, il était question d’un licenciement pour motif grave. L’employeur rapportait la preuve des faits reprochés par la production de courriers électroniques qu’il avait obtenus en accédant à la boîte mail du travailleur en question.
La Cour commence par rappeler que le travailleur a droit au respect de sa vie privée sur son lieu de travail. Elle constate ensuite que l’employeur a procédé à un contrôle systématique de tous les mails reçus et envoyés pendant deux ans. Il n’avait par ailleurs pas fait mention dans son règlement de travail de la teneur de l’examen des courriers électroniques effectué. Ce faisant, l’employeur a non seulement exercer un contrôle excessif mais en plus, il n’a pas respecté son obligation d’information. La Cour a dès lors considéré que les preuves ainsi recueillies étaient entachées d’irrégularité puisqu’elles violaient la vie privée du travailleur. L’employeur n’a donc pas pu utiliser les mails dans le cadre du litige. Par conséquent, il a dû payer l’indemnité de rupture à l’intéressé. L’employeur averti veillera donc à respecter les conditions requises !
Sources
Cass. 20 mai 2019, S.17.0089.F/1
C. travail. Bruxelles, 22 février 2018, R.G. 2015/AB/438.
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