Imaginez…
Vous êtes à la tête d'une grande chaîne commerciale avec des magasins implantés dans des endroits uniques aux quatres coins de l'Union européenne.
Les gouvernements de plusieurs États membres vous ont obligé à fermer temporairement vos magasins en vue de lutter contre la propagation du Covid-19. Entre-temps, la majorité des magasins ont rouvert, mais ils ne peuvent accueillir qu'un nombre limité de clients à la fois.
Vous vous appuyez déjà sur les aides financières des différentes autorités, mais vous craignez que ces mesures ne suffisent pas.
Les obstacles se multiplient. En plus des difficultés de paiements à l’égard de vos fournisseurs, les loyers de vos surfaces commerciales deviennent impayables à bon nombre d'endroits. Certains partenaires commerciaux menacent d'entamer des procédures judiciaires à votre encontre.
De plus, la crainte d'une « deuxième vague » de coronavirus et de nouvelles mesures de confinement d'accroît. Heureusement, tous vos contrats contiennent désormais toujours une clause type relative à la force majeure. Ainsi, vous êtes totalement couvert. Mais est-ce vraiment le cas ?
Quelques précisions.
La crise du coronavirus a un énorme impact sur la vie économique et met en péril l'exécution de nombreux contrats commerciaux en cours, notamment à la suite des mesures de fermeture obligatoires imposées par les gouvernements de plusieurs pays.
La matière du droit des obligations est régulée par chaque État membre de l'Union européenne de manière indépendante au niveau national, sans qu’il n’existe d'harmonisation européenne. Le principe de base en vigueur dans tous les États membres est le suivant : « Pacta sunt servanda ». Les contrats doivent être respectés. Tous les États membres reconnaissent également la force majeure comme exception à ce principe. La force majeure libère une partie (temporairement ou définitivement) de ses obligations contractuelles. Le cas échéant, les engagements de la contrepartie sont en principe suspendus ou annulés.
Il convient d’apprécier, au cas par cas et en se référant au système juridique de l’État membre concerné, s'il est question de force majeure. En règle générale, ce sont en premier lieu les dispositions du contrat qui s’avèreront déterminantes à cet égard.
Bon nombre de contrats commerciaux contiennent en effet des clauses de force majeure ou d'imprévision. La portée et la formulation de ces clauses peuvent toutefois varier considérablement.
Lorsque le contrat n'offre pas de réponse (suffisante), les principes généraux du droit supplétif s'appliquent, conformément au droit national applicable.
Habituellement, la notion de force majeure est interprétée de manière stricte. En règle générale, il est question de force majeure uniquement lorsque (i) des circonstances imprévisibles et inévitables, non imputables à l'une des parties, (ii) empêchent (complètement) cette partie de respecter son (ses) obligation(s).
Si l'exécution des obligations contractuelles est simplement devenue plus lourde ou plus compliquée, il n'est généralement pas question de force majeure. Dans certains États membres, les parties au contrat peuvent être contraintes de renégocier le contrat dans une telle situation sur la base de la théorie de l'imprévision (« hardship »). À défaut d'une clause contractuelle explicite, la théorie de l'imprévision n'est pas non plus acceptée en tant que telle dans tous les États membres. Il en va notamment ainsi en Belgique. Il convient toutefois de préciser que la théorie de l'imprévision fait partie intégrante d'une réforme du droit des obligations belge actuellement envisagée.
S'il n'est pas question de force majeure ni d'imprévision, et s'il s'avère qu'une partie reste en défaut de respecter certaines obligations contractuelles, se pose alors la question de savoir si l'autre partie peut réclamer des dommages-intérêts ou si elle peut, pour sa part également, suspendre tout ou partie de ses obligations contractuelles, par exemple en s'appuyant sur l'exception d’inexécution. La plupart des États membres appliquent à ce propos la règle selon laquelle cette autre partie ne peut exercer ses droits contractuels de manière manifestement déraisonnable ou de mauvaise foi.
Si la chaîne de magasins souhaite vérifier ses obligations contractuelles vis-à-vis de ses fournisseurs et de ses bailleurs dans le cadre du Covid-19, il lui faudra examiner au cas par cas :
- Quel droit s'applique au contrat spécifiquement applicable ;
- Si ce contrat stipule des règles relatives à sa suspension, à sa résiliation ou à sa modification (p. ex. : des clauses de force majeure ou d'imprévision) ;
- Quelles sont les conditions d'application et les conséquences de telles clauses ; et
- Si nécessaire, recourir aux principes généraux du droit national supplétif.
À défaut d'une clause contractuelle claire, il est souvent impossible de répondre sans équivoque à la question de la responsabilité concrète des parties au contrat et de savoir quelle partie est finalement tenue de supporter le risque et les dommages subis.
Quoi qu'il en soit, la crise du coronavirus nous rappelle à quel point les clauses relatives à la force majeure méritent une attention particulière.
Concrètement :
- Les contrats sont régulés par le droit national des États membres. Les concepts juridiques tels que la force majeure et l'imprévision (« hardship ») ne sont pas harmonisés au niveau européen. Il est important de toujours vérifier quel droit s'applique.
- Il convient de ne pas traiter les dispositions contractuelles relatives à la suspension, la résiliation ou la modification d'un contrat comme étant de simples clauses type (« boiler plate » en anglais). La formulation concrète de ces clauses est cruciale en vue de déterminer l'impact de conditions imprévues ou imprévisibles sur le contrat. Sans disposition claire, il s’avèrera extrêmement complexe de déterminer avec précision la position concrète des parties en cas de situation constitutive de force majeure.
Plus d'infos ?
- Les informations relatives aux mesures d'aide fédérales du SPF Finances pour les entreprises en ce qui concerne le coronavirus sont disponibles sur https://finances.belgium.be/fr/entreprises/mesures-de-soutien-dans-le-cadre-du-coronavirus-covid-19 et sur https://economie.fgov.be/fr/themes/entreprises/coronavirus/coronavirus-informations-pour
- Les informations relatives aux mesures flamandes pour les entreprises, sur https://www.vlaanderen.be/gezondheid-en-welzijn/gezondheid/gezondheid-en-preventie-tijdens-de-coronacrisis/steunmaatregelen-voor-zelfstandigen-en-ondernemers-die-schade-lijden-door-de-corona-crisis et sur https://www.vlaio.be/nl/begeleiding-advies/moeilijkhedencoronavirus/specifieke-maatregelen-mbt-het-coronavirus/coronavirus
- Les informations relatives aux mesures de la Région de Bruxelles-Capitale pendant la crise du coronavirus, sur https://1819.brussels
- Les informations relatives aux mesures wallonnes pendant la crise du coronavirus, sur https://www.1890.be