03/05/12

Ports et mobilité

Un think tank "Transport 2012" a été dédié aux spécificités des ports et a réuni Philippe Matthis (Directeur général adjoint du port de Bruxelles), Emile-Louis Bertrand (Directeur général du port de Liège), Stephan Vanfraechem (Directeur Stratégie et Affaires publiques d’Alfaport Anvers), Dominique Drapier (Responsable communication et relations extérieures du port de Lille), ainsi que Grégory Falisse et Florence De Brant (Union Wallonne des Entreprises).

I. Introduction

Depuis le début des années 2000, on assiste à un phénomène croissant de libéralisation des activités de transport et, partant, de nouvelles préoccupations et de nouveaux défis apparaissent.

Le coût réel du transport (c'est à dire le "coût-vérité", incluant les externalités) est aujourd’hui au cœur des débats et les préoccupations liées au développement durable et à l’intermodalité prennent également une place grandissante. En parallèle, l’activité législative de l’Union européenne ne cesse de croitre : directives ferroviaires, directives relatives aux péages autoroutiers, réorganisation des aéroports, l’initiative Greening Transport en sont quelques exemples.

Par ailleurs, il est clair qu’une part croissante du financement des infrastructures sera, à l’avenir, prise en charge par les usagers.

Les producteurs classiques d’infrastructures de transport sont appelés à devenir de véritables producteurs marchands : utilisation plus efficiente des ressources, diversification du risque, gestion plus professionnelle sont autant de changements managériaux qui en découlent.

Les questions spécifiques aux ports sont également nombreuses : l’intermodalité, l’intégration urbaine, le financement, les rapports avec les pouvoirs publics, les partenariats entre ports sont des problématiques fondamentales pour les infrastructures portuaires du 21ème siècle.

II. Le Port de Lille et le Centre Multimodal de Distribution Urbaine

Le Port de Lille fonctionne sur la base d’une délégation qui lui a été donnée par la Chambre de commerce.

Le problème majeur pour le port de Lille est le rapport avec la ville au sens large : les arbitrages à réaliser au niveau du terrain sont bien souvent délicats. Cependant, à Lille, il a été possible de réunir de nombreux acteurs pour une prise de décision concertée : les autorités publiques (Mairie et Conseil régional), logisticiens, commerçants (des grandes surfaces au petit commerce), organismes chargés de la traçabilité… Cela n’a pas été sans heurts mais la collaboration fonctionne aujourd’hui très bien. D’autres ports fonctionnent sur la base d’un partenariat fort entre les opérateurs intéressés, souvent sous la forme d’un GIE.

La filière « valorisation », dédiée à la collecte, au transport et au traitement des déchets, représente une part importante des activités du port de la ville et est à ce titre un bel exemple de réussite de cette collaboration. Grâce au transport fluvial des déchets, 20000 camions de moins circulent sur les routes.

L’aspect distribution urbaine est également fondamental. A Lille, énormément de marchandises peuvent être acheminées par la voie d’eau : le port est situé à 3 kilomètres du centre ville et à 1,5 kilomètre de la principale rue commerçante. Ensuite, de petits camions écologiques se chargent d’acheminer les marchandises vers les commerces et retournent au port chargés de déchets. Un centre multimodal de distribution urbaine (CMDU) va être créé pour gérer ces différents flux de marchandises. Le port mettra le terrain à disposition et va réaliser les travaux. Ensuite, un opérateur privé sera chargé de gérer le CMDU. Afin d’assurer au centre une rentabilité financière dès la première année d’exploitation, des services aux personnes seront ajoutés : livraison de matériel électroménager ou globalisation des commandes de produits alimentaires, par exemple.

L’accent est également mis sur les ruptures de charge, génératrices de coûts et de temps de parcours. Lorsque l’on parle d’intermodalité, il faut apprendre à prendre en compte des chaînes complètes de transport combiné

Enfin, la collaboration entre les ports intérieurs et les ports maritimes se développe sans cesse. Le raisonnement se fait à présent en termes d’hinterland (l’effet frontière n’existe plus : « le port d’Anvers est le plus grand port de France) ». Il reste qu’aujourd’hui, 89% des flux passent encore par la route en France… Le potentiel de développement reste donc important pour les ports français.

III. Le Port de Liège et le Phénomène de Massification

L’Europe a un rôle important à jouer dans la réflexion au niveau fluvial. En Belgique, les ports wallons dépendent de la Région wallonne mais le contact européen relève toujours du fédéral et les ports sont souvent exclus des discussions institutionnelles. Dès lors, il est fondamental pour les ports de s’organiser en fédérations afin d’avoir des contacts directs avec l’Europe.

Les ports intérieurs sont pratiquement dépourvus de toute subvention. Ils doivent dès lors s’organiser comme de véritables PME. Liège est le 3ème port intérieur européen et permet de décharger les routes de 800000 camions.

Le port de Liège est aujourd’hui un acteur important et souhaite créer une véritable valeur ajoutée. Pour son directeur, vu l’orientation prise vers le conteneur, on est confronté à un problème de massification des transports, et il convient de ne pas développer de trop nombreuses plateformes multimodales réparties sur tout le territoire. Il est fondamental de développer une stratégie de partenariat avec des ports maritimes, afin, entre autres, que ceux-ci puissent régler les problèmes de congestion auxquels ils font face, ainsi qu’avec d’autres ports intérieurs.

Les interactions entre partenaires publics et privés sont fondamentales.

IV. Bruxelles et le Conflit Logement VS. Transport

Le port de Bruxelles est un organisme d’intérêt public avec deux actionnaires principaux : la Région de Bruxelles capitale (58%) et la ville de Bruxelles (35%).

Aujourd’hui, Bruxelles fait face à un enjeu démographique important. La question du logement se fait pressante et ne cessera de prendre de l’importance dans les années à venir. Dès lors, le port de Bruxelles est soumis à des pressions de la part de la ville et de la Région pour céder certains de ses terrains. Cependant, le port de Bruxelles ne possède que 100 hectares (14 km de berges dont 5,5 de quais utiles) au sein de la région bruxelloise, ce qui est très peu.

Le port doit donc trouver une stratégie pour continuer à croitre et est passé, dans ses rapports avec les pouvoirs publics, d’une stratégie défensive à une stratégie participative. Le port souhaite attirer des entreprises en réorganisant ses activités tout en libérant des espaces pour les logements : accueillir des entreprises pour dégager des terrains ailleurs, par exemple.

Enfin, il ne faut pas minimiser l’importance de l’intégration urbaine. Les ports doivent s’intégrer dans le milieu urbain et il s’agit de trouver un équilibre entre activité économique et activité urbaine.

Le port est très efficace et rentabilise bien son espace. Grâce à ses activités, il y a 670.000 camions en moins dans les rues de Bruxelles, 100.000 tonnes de CO2, et 26 millions d’euros d’économies en coûts externes sont réalisés.

Le port est autosuffisant en termes financiers, ce qui constitue un atout évident dans une discussion avec les pouvoirs publics.

V. Anvers et les Défis d’une Concurrence accrue

Alfaport est la fédération des compagnies portuaires et logistiques et représente 400 entreprises : armateurs belges, agents maritimes, arrimeurs, expéditeurs et warehousing sont autant de membres différents de la fédération.

Aujourd’hui, l’on ressent l’impact de la globalisation sur un port local. Pour les entreprises, le choix du port est bien plus ouvert qu’auparavant et le port n’est plus qu’un acteur dans une « supply chain » globale. Dès lors, il se doit d’être compétitif. : Anvers n’est plus le choix évident.

Les choix sont faits en fonction de différents critères : coûts, fiabilité, lead time et sustainability

Anvers reste un excellent port mais il doit trouver des moyens de garder son avance, sur les Pays-Bas et l’Allemagne par exemple. L’atout principal du port d’Anvers est une combinaison efficace de la gestion du chargement, de l’industrie et de la logistique.

La Loi Major est très contraignante pour le port et ses dirigeants espèrent qu’elle soit rapidement modernisée afin qu’il puisse gagner un peu de flexibilité en matière de droit du travail

S’il est important d’investir dans les infrastructures, il ne faut pas négliger le développement des services.

Il est crucial de développer des alliances avec d’autres ports pour pouvoir rester compétitif.

Enfin, une simplification des procédures administratives serait bienvenue.

VI. L’Union wallonne des Entreprises

L’Union wallonne des entreprises rappelle que l’utilisateur sera appelé, dans le futur, à supporter une part plus importante des coûts du transport.

L’Union plaide pour une approche tarifaire globale, intégrant tous les modes de transport (et pas seulement la route par exemple) et tous les axes (et pas seulement des segments de ceux-ci). Il faut perdre l’illusion que faire payer un mode de transport plus cher va transférer du trafic sur un autre mode.

L’Union plaide aussi pour une intégration européenne forte et met l’emphase sur l’importance de l’articulation des politiques industrielles des régions, villes et communes, et des politiques portuaires pour maximiser l’utilisation des infrastructures et éviter les flux à vide.

L’Union recommande également que les espaces utiles le long des voies d’eau soient réservés en priorité aux activités industrielles.

Enfin, le développement des centres de distribution urbains doit être bien réfléchi car peu d’entre eux survivent aux ruptures ou diminutions des subventions. Une alternative semble pouvoir être trouvée dans l’adjonction de services, tel Lille qui en propose 7.

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