La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la Cour) a rendu, le 19 avril 2012, un arrêt intéressant au regard des éléments devant être pris en considération lorsqu’une personne s’estimant victime de discrimination avance des faits permettant de présumer de l’existence de celle-ci.
Le contexte légal
Plusieurs directives européennes ont consacré les principes d’interdiction de discrimination et d’égalité de traitement entre les personnes, sans distinction de race ou d’origine ethnique1, entre les femmes et les hommes2 ou encore, de façon plus générale, en matière d’emploi et de travail3. Ces directives ont été transposées en droit belge par les lois dites « anti-discrimination » du 10 mai 2007 4 dont une trouve particulièrement à s’appliquer à l’ensemble de la relation de travail, que ce soit au moment de l’embauche, lors de l’exécution du contrat ou au moment de sa rupture.
Ces trois dispositions prévoient l’interdiction de toute forme de discrimination, directe ou indirecte, fondée sur une série de critères protégés et mettent en place un ensemble de moyens destinés à assurer l’effectivité de ce principe. Les personnes qui s’estiment victime de discrimination peuvent déposer plainte, introduire une action judiciaire et réclamer l’indemnisation de leur préjudice.
Ces personnes bénéficient d’un allègement du fardeau de la preuve. En effet, si elles invoquent des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination, il incombe alors à l’autre partie et, dans le cadre d’une relation de travail, à l’employeur, bien souvent, de démontrer qu’il n’y a pas eu de discrimination.
Les indications données par ces lois anti-discrimination sur ce qu’il ya lieu d’entendre par « des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination » ne sont pas très éclairantes, de sorte que le travailleur s’estimant victime d’une discrimination n’a pas la tâche aisée.
L’arrêt Meister du 19 avril 2012
Dans cet arrêt, la Cour a été amenée à se prononcer sur l’interprétation des directives ayant donné lieu aux lois anti-discrimination du 10 mai 2007 et qui contiennent un mécanisme identique d’allègement de la charge de la preuve.
Madame Meister, d’origine russe, née en 1961 et titulaire d’un diplôme russe d’ingénieur reconnu en Allemagne, avait présenté sa candidature dans le cadre de deux annonces publiées par la société Speech Design.
Ces candidatures successives ont été rejetées sans qu’elle soit convoquée à un entretien et sans que l’entreprise lui fournisse une quelconque indication quant au motif de ce rejet.
Estimant qu’elle subissait un traitement défavorable en raison de son sexe, de son âge et de son origine ethnique, Madame Meister a demandé devant la justice allemande la condamnation de Speech Design à lui verser une indemnité pour discrimination à l’embauche. Dans le cadre de cette action, elle demandait la production du dossier du candidat recruté, ce qui lui aurait permis de démontrer qu’elle était plus qualifiée que celui-ci.
Saisie par une question préjudicielle, la Cour a conclu que les directives ne prévoient pas le droit, pour un travailleur, alléguant de façon plausible qu’il remplit les conditions énoncées dans un avis de recrutement et dont la candidature n’a pas été retenue, d’accéder à l’information précisant si l’employeur, à l’issue de la procédure de recrutement, a embauché un autre candidat. A fortiori, le candidat se prétendant victime d’une discrimination ne peut pas non plus se faire remettre le dossier du candidat recruté.
La Cour va cependant plus loin et précise qu’il ne saurait être exclu qu’un refus de tout accès à l’information de la part d’une partie défenderesse, en l’espèce d’un employeur, puisse constituer l’un des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’établissement des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte.
Les enseignements de l’arrêt Meister en droit belge
A la suite de l’arrêt Meister, un travailleur s’estimant victime d’une discrimination par rapport à l’un de ses collègues ne pourrait donc pas exiger de son employeur qu’il lui communique le dossier personnel du collègue concerné pour établir qu’il subit une différence de traitement.
Cela est parfaitement compréhensible tant le principe de confidentialité des données personnelles est garanti et ce, aussi bien par des directives européennes que par la réglementation belge.
Ce travailleur pourrait toutefois avoir intérêt à réclamer la production de ce dossier à son employeur puisqu’il pourrait ensuite utiliser le refus lui étant opposé comme un fait permettant de présumer l’existence d’une discrimination, ce qui aura pour conséquence de contraindre son employeur à prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination.
Il serait prématuré de conclure que les juridictions du travail, confrontées à pareille situation, imposeront systématiquement à l’employeur de démontrer qu’il n’y a pas eu de discrimination. On aperçoit toutefois déjà à quel point la position des employeurs est inconfortable.