07/05/18

Souriez, vous êtes filmé !

Depuis 2007, la « loi caméras » règlemente l’usage de la vidéosurveillance afin d’assurer qu’elle n’empiète pas de façon excessive sur la vie privée des citoyens. La loi du 21 mars 2018 modifie substantiellement la « loi caméras », mais que change-t-elle pour les particuliers et les entreprises qui utilisent une caméra de surveillance ? Comment cette législation se combinera-t-elle avec le Règlement général sur la protection des données, dès lors qu’ils entreront tous deux en vigueur le 25 mai 2018 ?

Pictogramme

L’exigence du pictogramme règlementaire à l’entrée du lieu surveillé est maintenue. Un simple panneau du type “Souriez, vous êtes filmé” ne sera toujours pas suffisant.

Déclaration préalable

Alors qu’aujourd’hui le placement d’une caméra doit être signalé préalablement à la Commission de protection de la vie privée, à partir du 25 mai 2018, seuls les services de police devront être informés. Les modifications ultérieures de l’installation de vidéosurveillance (ajout d’une seconde caméra par exemple) devront aussi être signalées.

Cette déclaration aux services de police devrait pouvoir être effectuée en ligne. Il sera également possible de charger l’installateur du système d’effectuer les démarches nécessaires, comme cela se fait lors du placement d’un système d’alarme.

Registre à tenir

Le registre public tenu par la Commission de protection de la vie privée disparaît par conséquent, mais est remplacé par une obligation pour le responsable du système de vidéosurveillance de tenir un registre écrit (éventuellement électronique) reprenant les activités de traitement d’images de caméras de surveillance mises en œuvre sous sa responsabilité. Ce registre devra pouvoir être présenté sur simple demande aux services de police et à l’Autorité de protection des données (nouvelle appellation de la Commission de protection de la vie privée à partir du 25 mai 2018). Un arrêté royal devra définir le contenu de ce registre et son délai de conservation.

Dès lors que les caméras de surveillance devaient déjà être recensées dans le registreimposé par le Règlement général sur la protection des données, il ne s’agit pas d’une réelle nouveauté. L’arrêté royal à venir dira quels sont les éléments supplémentaires à ceux prévus par le RGPD qui seront exigés.

Exception pour l’utilisation d’une caméra de surveillance à des fins personnelles ou domestiques

Aujourd’hui, les particuliers sont dispensés de déclarer la présence d’une caméra de surveillance utilisée dans un espace clôturé non accessible au public à des fins personnelles et domestiques. Ils continueront à bénéficier de cette exemption après le 25 mai 2018 pour autant que la caméra soit placée à l’intérieur de l’habitation. C’est aux mêmes conditions qu’ils seront dispensés de tenir un registre et de placer un pictogramme.

Les caméras qui surveillent l’extérieur d’un bâtiment devront donc toujours être précédées par un pictogramme. Elles devront aussi être signalées aux services de police et figurer dans un registre.

Conservation des images

Concernant la vidéosurveillance par les particuliers et les entreprises, la durée de conservation des images (un mois si les images ne sont pas utilisées dans le cadre d’une enquête) demeure inchangée.

Faut-il régulariser les caméras déjà placées ?

Les caméras de surveillance installées conformément à la législation en vigueur au moment de leur installation devront être notifiées aux services de police avant le 25 mai 2020. Le registre devra toutefois être mis en place dès le 25 mai 2018.

On le voit, les modifications votées le 8 mars 2018 n’impactent pas significativement les utilisateurs professionnels de caméras de surveillance. Cependant, des utilisations issues d’une pratique jusqu’ici illégale sont désormais encadrées :

Caméra témoin dans un magasin

Le visionnage des images enregistrées par les caméras de surveillance est et reste très encadré. Toutefois, il sera désormais autorisé de placer, à proximité d’une caméra de surveillance, un écran diffusant en temps réel les images collectées par la caméra de surveillance auprès de laquelle il est installé. Cette pratique, visant à renforcer l’effet dissuasif d’une caméra, sera donc légale dès le 25 mai 2018, pour autant qu’elle respecte le principe de proportionnalité.

Caméras mobiles (éventuellement sur un drone)

Les drones équipés de caméras ou les bodycams ne sont actuellement pas autorisés pour les acteurs privés. À partir du 25 mai 2018, ces équipements pourront être utilisés à l’intérieur d’un bâtiment ou dans un espace clôturé, mais uniquement dans trois cas :
• par des agents de gardiennage dans les parties non accessibles au public des aéroports, gares internationales, sites nucléaires, etc.
• dans les lieux fermés où personne n’est supposé être présent (par exemple une usine ou un magasin durant la nuit),
• par un particulier pour la surveillance d’une grande propriété non accessible au public, si l’étendue du terrain justifie d’utiliser des caméras de surveillance mobiles pour en assurer le contrôle. Cela supposera également de respecter la réglementation applicable aux drones.

Caméras intelligentes

Les caméras capables de traiter les images recueillies (reconnaissance des visages ou des plaques d’immatriculation) ne seront toujours pas autorisées pour les acteurs privés. La seule extension prévue par le texte voté le 8 mars 2018 concerne la reconnaissance automatique des plaques d’immatriculation des véhicules par les administrations communales. Elles pourront ainsi systématiser la constatation d’infraction de stationnement ou d’accès à une zone réservée.

Caméras sur le lieu de travail

La surveillance par caméras sur le lieu de travail, destinée à garantir la sécurité et la santé, la protection des biens de l’entreprise, le contrôle du processus de production et le contrôle du travail du travailleur est et demeure régie par la CCT n° 68, et non par la « loi caméras ».

Toutefois, il arrive souvent qu’un seul système de caméras soit utilisé à la fois pour la surveillance du personnel et des clients. Il suffit de penser aux caméras placées dans les grandes surfaces. Les deux corps de règles devront alors être respectés.

Coexistence avec le Règlement Général européen sur la Protection des données

Le 25 mai 2018 entrera également en vigueur le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Puisque les images où figurent des individus identifiables sont des données à caractère personnel, la « loi caméras » et le RGPD devront fréquemment être appliqués en parallèle. Comme auparavant, les principes régissant le traitement des données à caractère personnel doivent être respectés (proportionnalité, prise des mesures de sécurité nécessaires…).

Si la caméra ne vise pas la prévention d’infraction, mais par exemple le monitoring de patients en soins intensifs dans un hôpital, il ne s’agit pas d’une caméra “de surveillance”. La « loi caméras » ne s’applique pas et seul le RGPD devra être appliqué (de même que la loi belge qui sera prise en exécution du RGPD).

Quelles sont les obligations découlant du RGPD qui s’ajoutent à la « loi caméras » ?

Tout d’abord, la surveillance par caméras s’analysera fréquemment comme exigeant d’une part la réalisation d’une analyse d’impact et d’autre part la désignation d’un délégué à la protection des données. Les entreprises doivent donc examiner ces questions et documenter leur décision, si elles estiment ne pas être soumises à ces obligations. Ensuite, l’obligation de notification s’appliquera en cas de brèche de sécurité.

Par ailleurs, les droits offerts par le RGPD aux personnes concernées concerneront aussi les images filmées à leur sujet. Il leur sera ainsi permis d’accéder aux images, de les faire rectifier, effacer ou de limiter leur traitement. Elles ne devront pas motiver leur désir d’accéder aux images, mais donner des indications suffisamment détaillées pour permettre au responsable du traitement de retrouver les images.

Ces droits ne concernent toutefois que les images sur lesquelles la personne concernée apparait. Le RGPD ne pourra pas être invoqué pour visionner des images qui ont été enregistrées avant ou après le passage de la personne filmée. Une personne qui oublie un sac sur un quai de gare ne pourra donc pas demander à voir les images prises après le départ de son train. De même, lorsqu’un cambriolage a eu lieu pendant les vacances des propriétaires, seuls les services de police pourront visionner les caméras des immeubles voisins.

Coexistence des sanctions

Les amendes administratives mises en place par le RGPD seront certainement plus appliquées, et donc plus dissuasives, que les sanctions pénales de la “loi caméras”. La perspective de ces amendes administratives poussera probablement les utilisateurs de caméras de surveillance à respecter plus scrupuleusement qu’avant la “loi caméras”.

Notre conseil :

La dernière modification de la “loi caméras” ne modifie pas son essence et tient mieux compte des évolutions de l’usage des caméras de surveillance. Les particuliers qui surveillent l’extérieur de leur propriété devront toutefois signaler la présence de la caméra aux services de police avant le 25 mai 2020 et tenir un registre dès le 25 mai 2018.

Le choix de faire entrer ces modifications en vigueur en même temps que le RGPD n’est certainement pas anodin. Les amendes administratives mises en place par le RGPD seront certainement plus appliquées, et donc plus dissuasives, que les sanctions pénales de la “loi caméras”.

Il importe donc d’une part de vérifier la régularité des caméras déjà placées à la nouvelle mouture de la “loi caméras” et d’autre part, de s’interroger sur la nécessité d’effectuer une analyse d’impact et de désigner un délégué à la protection des données pour se conformer au RGPD.

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