Dans trois décisions récentes, les juridictions ont été amenées à se positionner face à des situations de drogue ou d’alcoolisme sur le lieu de travail.
Cour du travail de Liège 1er avril 2010 et tribunal du travail de Bruxelles du 7 octobre 2010 : alcoolisme et motif grave
Les faits
Dans la première décision, un travailleur bénéficiant de 14 ans d’ancienneté se présente un matin au travail, selon les dires d’un collègue, en état d’ébriété. L’employeur estime que ce n’est pas la première fois que le travailleur concerné se présente au travail sous l’influence d’alcool et licencie celui-ci sur le champ pour motif grave.
Le travailleur conteste avoir été en état d’ébriété et dépose une attestation de son médecin traitant consulté quelques heures après les faits qui déclare n’avoir contrasté aucun signe d’influence d’alcool.
Dans la seconde décision, un ouvrier en état d’ébriété effectuant un travail de gardiennage de nuit se dispute avec plusieurs collègues. Le travailleur ne conteste pas avoir bu une bière mais affirme ne pas avoir été en état d’ébriété pour autant. Il conteste par contre les faits de violence à l’encontre de ses collègues.
Décisions
Dans les deux décisions, la cour et le tribunal considèrent que le motif grave n’est pas établi.
En effet, dans le premier cas, la cour considère que l’employeur ne rapporte pas la preuve de l’état d’ébriété du travailleur et qu’en tout état de cause, l’état du travailleur n’est pas assez grave pour justifier un licenciement sur le champ.
Dans le second cas, le tribunal considère pour sa part, que le simple fait pour un travailleur d’avoir consommé de la bière, justifiait tout au plus un avertissement. Le licenciement pour motif grave est une sanction extrême qui ne se justifie pas dans un tel cas d’espèce.
Ces décisions récentes montrent que les cours et tribunaux sont souvent indulgents vis à vis des travailleurs qui consomment ou qui sont sous l’influence de l’alcool sur le lieu de travail l. Il ne s’agit donc pas de licencier pour motif grave un travailleur en état d’ébriété sur le lieu de travail à la légère. Il est important de noter que dans les deux situations, l’ancienneté, le fait qu’il s’agissait d’un acte isolé ainsi que l’absence d’avertissement ont été pris en compte par le juge.
Tribunal du travail de Liège du 31 mars 2010 : possession de drogue sur le lieu de travail
Les faits
Un travailleur perd dans les bâtiments de l’entreprise un sachet contenant de la drogue. Un collègue trouve le sachet et le confie à un responsable. Deux jours plus tard, le collègue reçoit des menaces de la part du travailleur à qui appartenait la drogue. La direction, apprenant les faits, licencie le travailleur pour motif grave. Le travailleur conteste avoir consommé de la drogue sur le lieu de travail mais admet en avoir introduit sur celui-ci, pour sa consommation privée uniquement et en dehors des heures de travail.
Décision
Le tribunal considère que le licenciement pour motif grave est justifié compte-tenu du fait que le règlement de travail précise explicitement l’interdiction d’introduire de la drogue sur le lieu de travail, ce qui démontre l’importance qu’accorde l’employeur au respect de cette obligation. La faute du travailleur, qui consiste à avoir introduit de la drogue sur le lieu de travail, constitue un motif grave notamment eu égard aux différentes conséquences néfastes pour l’entreprise et ses travailleurs que la présence de drogue sur le lieu de travail peut entrainer.
Conseils
Lors de l’appréciation du motif grave, les juridictions peuvent pendre en compte, en plus des éléments concrets de la situation, le contenu et/ou le développement de la politique préventive en matière d’alcool et de drogues que vous devez mener en tant qu’employeur dans l’entreprise (depuis le 1er avril 2010).
Comme vous le savez, cette politique se compose de deux phases dont seule la première est obligatoire.
Cette première phase consiste pour l’employeur à déterminer les objectifs de la politique préventive en matière d’alcool et de drogues dans son entreprise et élaborer une déclaration contenant les grandes lignes de cette politique.
La seconde phase, consiste en la mise en place concrète d’un système de prévention qui n’est, pour sa part, pas obligatoire.
Concrètement, chaque employeur a dorénavant l’obligation d’ajouter dans son règlement de travail les éléments qui définissent sa politique en matière d’alcool et de drogues. Celui-ci peut :
• soit se limiter à une phase 1, obligatoire pour tous ;
• soit également développer concrètement des actions de prévention contre l’alcool et les drogues avant de les transposer ensuite dans son règlement de travail.
Beaucoup des employeurs ont, pour le moment, seulement mis en place la phase 1. De la sorte ils respectent entièrement la CCT n°100, mais la question de savoir si cela est suffisant est autre.
La nécessité d’élaborer ou pas une politique préventive en matière d’alcool et de drogues, doit toujours être examinée plus largement, compte-tenu des risques existant dans l’entreprise. La consommation d’alcool et de drogues dans l’environnement du travail comporte toujours des risques. C’est pourquoi il nous semble, sur ce plan, toujours nécessaire de prendre des mesures préventives.
S’il ressort de l’analyse des risques que des mesures préventives doivent être prises (ce qui sera toujours le cas à notre estime), et que l’employeur n’y fait pas suite — en d’autres termes, lorsque la deuxième phase n’est pas remplie ou à tout le moins de manière insuffisante — il semble que la responsabilité de l’employeur en cas d’éventuel dommage, pourra être plus facilement établie. En tant qu’employeur vous êtes en effet, sur base de la loi sur le bien être au travail, toujours le responsable du bien être dans votre entreprise.
L’absence d’une politique préventive en matière d’alcool et de drogues ou une application incorrecte de celle-ci peut hypothéquer la prise de sanctions telles que l’avertissement ou le licenciement pour motif grave. Vous pouvez bien entendu toujours prendre des sanctions pour autant que celles-ci soient mentionnées dans le règlement de travail, et ce, même en l’absence de phase 2, mais il est fort probable que les juges dans leur appréciation de la sanction prise, telle qu’un licenciement pour motif grave, tiendront compte de la politique préventive en matière d’alcool et de drogues mise en place au sein de l’entreprise.
S’il apparait que la sanction est proportionnelle et découle logiquement de la politique, alors les chances de succès seront plus importantes.