31/12/10

Respect de la vie privée des travailleurs et contrôle de l'usage des nouvelles technologies: les cartes redistribuées?

Pour rappel, la Cour de Cassation a considéré le 10 mars 2008 que "sauf en cas de violation d'une formalité prescrite à peine de nullité, la preuve illicitement recueillie ne peut être écartée que si son obtention est entachée d'un vice qui est préjudiciable à sa crédibilité ou qui porte atteinte au droit à un procès équitable".
Ces enseignements ont trouvé écho auprès des juridictions sociales dans le cadre de procédure concernant le licenciement pour motif grave d’un travailleur justifié par des éléments obtenus lors du contrôle de l’usage des nouvelles technologies effectué en violation des règles protectrices de la vie privée.

1.-
Pour rappel, les principes relatifs au respect de la vie privée des travailleurs sur leur lieu de travail ont notamment été traduits dans la convention collective de travail n° 81 du 26 avril 2002 relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l’égard du contrôle des données de communication électroniques en réseau.

La CCT 81 prévoit notamment que l’employeur ne peut pas prendre connaissance du contenu des communications électroniques privées adressées et reçues par le travailleur sur son lieu de travail au moyen des outils informatiques mis à sa disposition. L’employeur ne peut en effet contrôler que certaines données relatives à ces communications privées.

La CCT 81 stipule en outre que ce contrôle limité ne peut être effectué que pour certaines finalités précises et doit être proportionné. De plus, la CCT 81 impose aux employeurs d’avertir leurs travailleurs notamment de l’existence du contrôle et prévoit dans certains cas une procédure devant être observée afin de procéder à l’individualisation du travailleur fautif.

2.-
La CCT 81 ne prévoit pas de sanctions spécifiques en cas de violation de ses dispositions par un employeur. De plus, les sanctions pénales liées à sa qualité de CCT rendue obligatoire par arrêté royal sont, pour ainsi dire, restées jusqu’à présent lettres mortes.

Cependant, malgré l’absence de sanctions légales efficaces, la jurisprudence traditionnelle assurait quelque peu le respect de la vie privée des travailleurs. En effet, si dans le cadre d’une procédure, un employeur souhaitait utiliser un e-mail ou un autre document recueilli en violation de la CCT 81, afin par exemple de démontrer la faute grave commise par un travailleur invoquée dans le cadre d’un licenciement pour motif grave, ces éléments de preuve se voyaient de manière quasi systématique rejetés par les tribunaux.

3.-
Toutefois, la Cour de Cassation, à l’image de sa jurisprudence en matière pénale, a décidé par un arrêt du 10 mars 2008 rendu dans un litige en matière de sécurité sociale que "sauf en cas de violation d'une formalité prescrite à peine de nullité, la preuve illicitement recueillie ne peut être écartée que si son obtention est entachée d'un vice qui est préjudiciable à sa crédibilité ou qui porte atteinte au droit à un procès équitable".

Cet arrêt a toute son importance en ce qui concerne les normes protectrices de la vie privée des travailleurs, comme la CCT 81. En effet, d’une part ces normes ne sont pas prescrites à peine de nullité et d’autre part, à partir du moment où le travailleur peut contester son licenciement, le droit à un procès équitable sera en règle générale respecté.

4.-
Depuis lors, ces enseignements ont été appliqués dans le cadre de litiges liés au licenciement pour motif grave d’un travailleur justifié par des éléments découverts lors de contrôles de l’usage fait par les travailleurs des outils informatiques mis à leur disposition effectués en violation de la CCT 81.

Le Tribunal du travail de Gand (1er septembre 2008) s’est en effet référé à cette jurisprudence et l’a appliquée dans une affaire où un travailleur avait été licencié pour motif grave suite à la création d’une activité concurrente pendant les heures de travail découverte suite à un contrôle des e-mails de ce dernier.

Plus récemment, la Cour du travail d’Anvers (19 avril 2010) a, une nouvelle fois, rappelé les principes édictés par la Cour de Cassation dans une affaire concernant la prise de connaissance de données privées sauvegardées sur l’intranet de l’employeur démontrant la mise sur pied par le travailleur d’une activité concurrente.

5.-
S’il ressort de cette évolution jurisprudentielle que les éléments de preuve recueillis en violation des normes protectrices de la vie privée des travailleurs ne seront plus systématiquement rejetés par les tribunaux, cela n’implique pas qu’il puisse être garanti qu’ils soient systématiquement accueillis par le juge.

A l’avenir, le juge devra sans doute statuer en faisant la balance entre d’une part, les intérêts de l’employeur et d’autre part, la vie privée du travailleur.

Toutefois, le travailleur ne dispose plus de l’atout "respect de ma vie privée" lui permettant à coup sûr d’éviter d’assumer les conséquences des actes dommageables à l’employeur qu’il aurait commis.

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