Un employeur estime le package salarial d’un travailleur trop élevé. Peut-il licencier ce travailleur si ce dernier refuse de diminuer son salaire ? En principe, non, selon la cour du travail de Liège.
L’affaire concerne un employeur qui, après avoir analysé les rémunérations de ses travailleurs, trouvait que le package salarial d’une secrétaire de direction était trop élevé. L’employeur a donc voulu convenir avec cette travailleuse d’une diminution de salaire. Dans l’hypothèse où les deux parties n’arrivaient pas à un accord, l’employeur envisageait de mettre fin à la relation de travail.
Ce qui fut fait. L’employeur a en effet rompu le contrat de la travailleuse, en arguant qu’elle refusait de convenir d’une réduction de salaire.
La travailleuse estimait être victime d’un licenciement manifestement déraisonnable, comme le prévoit la CCT nationale no 109.
Les limites fixées par la CCT no 109
En plus de prévoir la motivation du licenciement, la CCT n° 109 limite la liberté de licenciement de l’employeur en interdisant les licenciements « manifestement déraisonnables ». Concrètement, un licenciement est manifestement déraisonnable :
(a) s’il se fonde sur des motifs qui n’ont aucun rapport avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service,
ET
(b) s’il n’avait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable.
Un travailleur victime d’un licenciement manifestement déraisonnable peut prétendre à une indemnité équivalente à minimum 3 et maximum 17 semaines de rémunération, selon la gradation du caractère manifestement déraisonnable du licenciement.
Ce principe ne s’applique toutefois pas dans certaines situations, notamment pendant les six premiers mois de service, en cas de licenciement pour fautes graves ou de licenciement collectif.
Dans cette affaire
La cour du travail a dû se pencher sur une question intéressante : dans le cadre d’une harmonisation salariale, un employeur peut-il licencier un travailleur qui refuserait une diminution de son salaire ?
Dans cette affaire, l’employeur s’est appuyé sur l’un des trois motifs de licenciement autorisés : la nécessité de fonctionnement de l’entreprise. Toutefois, selon la cour, ce motif ne correspond pas à la réalité : la mise en place d’une politique salariale voulue n’est pas une nécessité de fonctionnement d’une entreprise. L’employeur n’a pas pu démontrer que le licenciement se justifiait pour assurer la rentabilité de l’entreprise et éviter des difficultés et des risques financiers. L’arrêt de la cour explique également que l’employeur avait précisé que sa décision n’était pas du tout guidée par des difficultés économiques, mais par une volonté d’accorder à ses travailleurs une rémunération juste et équivalente. Une intention certes louable, mais qui ne rejoint aucun motif autorisé par la CCT no 109.
La cour du travail a confirmé la décision contestée du tribunal du travail : la travailleuse a eu droit à l’indemnité maximale prévue dans ce cas, soit l’équivalent de 17 semaines de rémunération. La cour a déclaré que ce licenciement constituait une sanction à l’encontre de la travailleuse pour avoir refusé de modifier un élément essentiel du contrat.
Ce qu’il faut retenir
Par le passé, il n’était pas rare de procéder à quelques licenciements dans le cadre d’une campagne d’harmonisation des salaires. Tout compte fait, un employeur a en principe le droit de mettre fin à un contrat de travail et l’harmonisation des salaires semble un motif tout à fait défendable. La CCT no 109, en vigueur depuis le 1er avril 2014, nuance toutefois cette vision :
- la CCT n° 109 n’autorise que trois motifs : le comportement du travailleur, l’aptitude du travailleur ou les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service. Par exemple, il faut pouvoir démontrer que le licenciement vise à assurer la rentabilité de l’entreprise.
- Pour être tout à fait précis, notons que l’employeur ne doit pas pouvoir justifier que la décision de procéder au licenciement était absolument nécessaire.
- L’employeur jouit toujours d’une grande liberté d’action lorsqu’il s’agit de choisir entre le licenciement, d’une part, et les alternatives possibles, d’autre part. Dans la mesure où le licenciement est fondé sur l’un des trois motifs énoncés ci-dessus, le juge ne peut pas se prononcer sur la stratégie qui pousse l’employeur à procéder au licenciement. Du moins, en principe, car la CCT no 109 prévoit une condition supplémentaire : il ne peut s’agir d’un licenciement qu’un employeur normal et raisonnable n’aurait jamais décidé.
Le licenciement ne peut généralement pas être utilisé comme instrument de contrainte. En témoigne la décision de la cour – et des juges de première instance – de condamner l’employeur à verser l’indemnité maximale. Selon la cour, ce licenciement constitue bien une sanction, car la travailleuse a refusé d’accepter la révision d’un élément essentiel du contrat de travail, à savoir le salaire convenu.
Source : Cour du travail de Liège, 12 février 2020, numéro de rôle 2018/AL/781
Par DEPONDT Wim - Legal advisor sr.,