Le 17 juin 2021, la Cour constitutionnelle a prononcé un arrêt important dans lequel elle a jugé que le fait qu’il n’y ait pas d’interdictions ou limites prévues par la loi en cas d’alternance de contrats de travail à durée déterminée (CDD) et de contrats de remplacement violait la Constitution. Elle invite le législateur à légiférer sur cette question.
1. Bref rappel des principes
1. CDD. La loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (ci-après: la loi) pose comme principe l’interdiction de conclusion de CDD successifs.
En effet, lorsque les parties ont conclu plusieurs contrats de travail successifs pour une durée déterminée sans qu'il y ait entre eux une interruption attribuable au travailleur, elles sont censées avoir conclu un contrat pour une durée indéterminée, sauf exceptions limitativement énumérées par la loi. L’une de ces exceptions prévoit ainsi qu’il peut être conclu au maximum quatre contrats pour une durée déterminée qui ne peut, chaque fois, être inférieure à trois mois et sans que la durée totale de ces contrats successifs ne puisse dépasser deux ans.
2. Contrat de remplacement. En règle, si les parties concluent plusieurs contrats de travail de remplacement successifs, sans qu'il y ait entre eux une interruption attribuable au travailleur, la durée totale de ceux-ci ne peut dépasser deux ans. Il n’y a en revanche pas de nombre maximal de contrats de remplacement pouvant être conclus.
En cas de dépassement de la période de deux ans, le contrat est soumis aux mêmes conditions que les contrats conclus pour une durée indéterminée.
3. Succession de CDD et de contrats de remplacement. La loi ne prévoit pas de règles ou interdictions spécifiques lorsque des CDD et des contrats de remplacement se succèdent. Dès lors, en principe, la durée totale de la succession de CDD et contrats de remplacement ne doit pas nécessairement être limitée à deux ans.
La jurisprudence considère quant à elle que cette forme de succession est autorisée, pour autant qu’il n’y ait pas d’abus de droit ou de fraude à la loi.
2. Décision de la Cour
L’affaire concernait un travailleur licencié qui avait été occupé sans interruption auprès de son employeur, pendant plus de deux ans, en vertu d’une succession de divers contrats de remplacement et CDD. A l’issue de son licenciement, celui-ci réclamait une indemnité de préavis calculée depuis le premier contrat, estimant qu’au vu de la durée de la relation, un contrat à durée indéterminée avait été formé depuis le début de la relation, ce que l’employeur contestait.
En substance, la Cour constitutionnelle a été amenée à examiner si le fait qu’il n’y ait pas d’interdictions ou de limites en cas succession de CDD et de contrats de remplacement était compatible avec la Constitution.
Dans son analyse, la Cour rappelle d’abord que les limites au recours des CDD et contrats de remplacement successifs ont été instaurées notamment dans le but de pouvoir faire bénéficier le travailleur d’une stabilité d’emploi et ce, en principe, après deux ans.
La Cour souligne ensuite que cette stabilité d’emploi est effectivement garantie après deux ans, en principe, en cas de succession de CDD uniquement ou en cas de succession de contrats de remplacement uniquement, mais pas en cas de succession alternée de CDD et de contrats de remplacement.
La juridiction suprême estime que, compte tenu de cet objectif de stabilité, cette différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée et crée par conséquent une discrimination, contraire à la Constitution.
3. Conséquences et implications de la décision
Au terme de son arrêt, la Cour a appelé le législateur à adapter la loi pour déterminer les conditions et les exceptions applicables en cas de succession de CDD et de contrats de remplacement durant plus de deux ans.
Dans l’attente d’une intervention du législateur, les cours et tribunaux saisis d’une problématique similaire pourront appliquer les règles relatives aux contrats à durée indéterminée lorsqu’un travailleur se trouvera dans une telle situation.
Les employeurs devront donc dorénavant être particulièrement vigilants lors d’une alternance de CDD et de contrats de remplacement, en gardant à l’esprit cette limite maximale de deux ans.
Gaël Chuffart, Partner, Brussels
Yousra El Alaoui, Junior Associate, Brussels