Le 23 mai 2022, la Cour du travail de Bruxelles s'est prononcée sur l'obligation de présentation spontanée auprès du médecin-contrôle pour les travailleurs dont l'absence pour cause de maladie dépasse une certaine norme objective. La Cour du travail a estimé que lorsqu'un employeur prévoit une telle procédure, les obligations du travailleur ne s’en voient pas alourdies. En outre, la Cour du travail a jugé qu'il n'était pas question de discrimination fondée sur l'état de santé actuel ou futur.
L'employeur, qui était actif dans le secteur du gardiennage, avait introduit depuis quelques années, en concertation avec le conseil d'entreprise, une nouvelle politique en matière d'absentéisme dans l'entreprise. La procédure était inscrite dans le règlement de travail et prévoyait que les travailleurs qui avaient été absents pour de courtes périodes à de nombreuses reprises pour cause de maladie et dont l'absentéisme dépassait une norme objectivement fixée par l'employeur, devaient se présenter spontanément auprès du médecin-contrôle à chaque nouvelle incapacité de travail pour cause de maladie. Si cette procédure n'était pas respectée, les travailleurs concernés n'avaient pas droit au salaire garanti. Bien entendu, cette obligation de se présenter spontanément auprès du médecin-contrôle ne s'appliquait qu'aux travailleurs qui étaient autorisés à quitter leur domicile.
Un travailleur, agent de sécurité, n'a pas suivi cette procédure, au motif qu’il la considérait illégale. Plus précisément, le travailleur considérait que cette procédure alourdissait illégalement ses obligations découlant de la loi relative aux contrats de travail et qu'elle était par ailleurs discriminatoire. Le travailleur a donc réclamé le paiement de son salaire garanti et a porté la cause devant le Tribunal du travail, puis devant la Cour du travail.
Pas d’alourdissement injustifié des obligations des travailleurs
Le travailleur invoquait en premier lieu le fait que la disposition du règlement de travail qui introduisait l'obligation pour certains travailleurs de se présenter spontanément auprès du médecin-contrôle, alourdissait illégalement les obligations des travailleurs (comme l'interdit l'article 6 de la loi relative aux contrats de travail). Le travailleur a estimé que le régime mis en place par l'employeur allait bien au-delà de ce qui est prévu à l'article 31 de la loi relative aux contrats de travail, qui réglemente, entre autres, le droit pour l’employeur de faire contrôler l’incapacité de travail.
La Cour du travail n’a pas été du même avis.
Elle a confirmé que la demande de se présenter auprès du médecin-contrôle ne doit pas être formulée individuellement par l'employeur pour chaque nouvelle période d’incapacité. Cette demande peut être inscrite collectivement dans le règlement de travail et peut également être limitée à un groupe de travailleurs sur la base de critères objectifs et transparents. En l’espèce, l'employeur avait tenu compte de l’indice de Bradford pour déterminer la liste des travailleurs qui devaient se présenter spontanément auprès du médecin-contrôle.
Pas de discrimination fondée sur l'état de santé actuel ou futur
Le travailleur invoquait ensuite le fait que ce régime établissait une distinction injustifiée entre les travailleurs (malades), ce qui, selon lui, constituait une discrimination sur la base de leur état de santé actuel ou futur.
La Cour du travail a jugé qu'il y avait en effet une présomption de discrimination sur la base du critère protégé de l'état de santé actuel ou futur car l'employeur effectuait effectivement une distinction entre deux catégories de travailleurs inaptes au travail, sur la base de leur profil spécifique d’absentéisme, et donc sur la base de leur état de santé. En outre, l'obligation, dans ce cas, de se présenter spontanément auprès du médecin-contrôle, au risque, par ailleurs, de perdre le droit au salaire garanti, peut être considérée comme un traitement défavorable.
Par conséquent, l'employeur a supporté la charge de la preuve et a donc dû démontrer que cette différence de traitement fondée sur l'état de santé était objectivement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires.
La Cour du travail a considéré que l'employeur avait satisfait à cette charge de la preuve.
Premièrement, il y avait un objectif légitime. La Cour du travail a estimé logique que des périodes de maladie courtes, fréquentes et imprévues engendrent davantage de problèmes organisationnels et sont également plus contraignantes pour les autres travailleurs devant procéder à des remplacements au pied levé. Ceci s'applique d'autant plus dans une entreprise de gardiennage qui déploie ses agents de sécurité jour et nuit, tous les jours de la semaine, auprès de différents clients, à différents endroits.
Selon la Cour du travail, le suivi rapproché par le médecin-contrôle, combiné aux entretiens de suivi par les supérieurs hiérarchiques, était également une mesure appropriée pour détecter un lien éventuel entre les absences fréquentes et les conditions de travail.
Par ailleurs, d’après la Cour du travail, une sélection des travailleurs était également nécessaire. Faire examiner systématiquement tous les travailleurs malades par le médecin-contrôle représenterait un coût très important pour l'employeur.
La sélection qui a été appliquée a, en outre, permis de limiter l’examen aux cas dans lesquels l'absence du travailleur compliquait le plus l'organisation du travail, de sorte que la mesure était également appropriée.
Le fait qu'il puisse y avoir des raisons médicales objectives pour lesquelles un travailleur est régulièrement inapte au travail pendant de courtes périodes est sans incidence. Dans un tel cas, le médecin-contrôle pourra en effet établir le caractère justifié de l'absence.
La Cour du travail a dès lors décidé qu'il n'était pas question d’une discrimination fondée sur l’état de santé actuel ou futur.
Par conséquent, le travailleur n'avait pas droit au salaire garanti.
Point d'action
Avez-vous déjà envisagé d'introduire une politique en matière d'absentéisme au sein de l'entreprise ?
Il ressort du HR Beacon 2022 que plus de la moitié des entreprises n'ont pas encore développé à ce jour de politique en matière de réintégration des malades de longue durée (53,3% a répondu "non", 40,93% a répondu "oui" et 5,77% indiquait que ce n'était pas d'application dans leur cas).
Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles témoigne de l’attention qui doit être accordée aux situations d’absence et ce afin d’éviter toute discrimination fondée sur l’état de santé ou le handicap.
À notre connaissance, il s'agit de la première décision de ce genre, il est donc encore trop tôt pour lui conférer une portée générale. Il convient également de rappeler que le traitement des données relatives à l’état de santé est strictement réglementé dans le cadre de la législation sur la protection des données.