Les responsables des ressources humaines sont souvent tenus à l'écart des programmes de compliance en droit de la concurrence et des possibilités de formation en la matière. Cela devrait changer à l’avenir, et voici pourquoi.
La commissaire Vestager l'a clairement indiqué en octobre 2021 : « lorsque des entreprises s'entendent pour fixer les salaires qu'elles versent ou lorsqu'elles utilisent des accords dits de « non-débauchage » comme moyen indirect de maintenir les salaires à un niveau bas, empêchant les talents de se déplacer là où ils servent le mieux l'économie », ces pratiques peuvent être considérées – en droit de la concurrence – comme un « cartel d'acheteurs » sur le marché de la main-d'œuvre. En effet, ces dernières années, les autorités de la concurrence ont fortement renforcé leur surveillance des évolutions du marché du travail liées à la fixation des salaires et aux pratiques de non-débauchage (« no-poach ») – des domaines qui, jusqu'à récemment, ne semblaient pas être une source de préoccupation.
Les professionnels des ressources humaines et leurs entreprises devraient revoir leurs politiques de recrutement et de fidélisation, protéger les informations sensibles de l'entreprise concernant la rémunération ou les avantages des salariés et s'abstenir de conclure tout type d'accord anticoncurrentiel.
Les pratiques visées
Les principales préoccupations concernent, d'une part, les accords de fixation des salaires par lesquels les concurrents harmonisent ou normalisent la rémunération et/ou les autres avantages offerts à leurs employés. Ces accords de fixation des salaires pourraient être considérés comme des cartels de fixation des prix au regard du droit de la concurrence. De même, les échanges d'informations entre concurrents concernant les salaires peuvent donner lieu à des infractions en la matière. D'autre part, par le biais d'accords de non-débauchage, les entreprises acceptent de ne pas contacter, recruter et/ou embaucher des personnes qui travaillent ou ont travaillé pour d'autres entreprises parties à l'accord. En conséquence, ces pratiques éliminent la concurrence réelle entre les entreprises pour attirer les employés, créant des barrières artificielles sur le marché, réduisant la mobilité de la main-d'œuvre et gardant celle-ci captive.
Ces accords concernent souvent des employés très qualifiés possédant un ensemble de compétences spécifiques pour lesquelles la demande est forte. Ainsi, ce sont des secteurs ou des domaines d'activité tels que la haute technologie, l'ingénierie logicielle, l'animation, le sport, l'industrie pharmaceutique ou les soins de santé qui ont fait l'objet d'enquêtes récentes des autorités de la concurrence.
Ces dernières ont tendance à se concentrer sur les accords autonomes dont l’objet principal est de contribuer à une fixation des salaires ou au non-débauchage. En revanche, les clauses ou accords accessoires à des transactions commerciales plus importantes dans le cadre de fusions-acquisitions ou d'accords de R&D ne sont généralement pas considérés comme problématiques lorsqu'ils peuvent être justifiés comme étant directement liés et nécessaires dans le contexte de cette opération plus large. Les accords conclus dans le cadre juridique existant pour les conventions collectives de travail sur les conditions d'emploi ne relèvent pas non plus du champ d'application du droit de la concurrence. Dans ce contexte, l’on peut également se référer aux lignes directrices de la Commission européenne de septembre 2022 sur les conventions collectives conclues par les travailleurs indépendants, qui précisent quand ces derniers peuvent négocier collectivement de meilleures conditions de travail sans enfreindre le droit de la concurrence.
Application de la législation en Belgique
Quelques enquêtes sont actuellement menées par l'Autorité belge de la concurrence (ABC) en lien avec le marché du travail. Dans sa dernière communication sur les priorités en matière d'application de la législation, l’ABC a clairement indiqué que davantage de ressources seraient allouées à de nouveaux défis tels que la concurrence sur le marché du travail et que les accords de non-débauchage seraient examinés de près, notamment dans le secteur du sport. D'autres secteurs sont toutefois également en cours d'examen.
Compte tenu de la surveillance accrue du marché du travail par les autorités de concurrence aux niveaux européen et belge, mais aussi ailleurs dans le monde, il est important que les entreprises revoient activement leurs politiques de ressources humaines, d'embauche et de fidélisation de l’emploi. Il convient d'être particulièrement prudent en ce qui concerne toute forme de coopération avec des concurrents qui pourrait avoir pour effet de limiter les salaires ou d'affaiblir la concurrence pour l'embauche de salariés.
Auteurs :
Liesbet Vandenplas
Maaike Cornelli
Kim Gillade
Tom Buytaert
(avocats chez Eubelius)