La Cour de cassation a rendu le 14 décembre 2015 un arrêt concernant la motivation du licenciement d’un ouvrier régulièrement en incapacité de travail qui était inapte à exercer sa fonction.
Bien que l’arrêt se fonde sur l’article 63 (récemment abrogé) de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, cette décision reste intéressante depuis l’entrée en vigueur de la CCT n°109 qui reprend des critères identiques à cette ancienne disposition, en vue de la détermination du caractère « manifestement déraisonnable », ou non, du licenciement.
1. Les faits
Une travailleuse était engagée en tant que conditionneuse, dans les liens d’un contrat de travail d’ouvrier à durée indéterminée. En raison de nombreuses absences, justifiées, l’employeur avait décidé de la licencier moyennant indemnité de préavis. La travailleuse estima son licenciement abusif et saisit les juridictions du travail.
Tant en première instance qu’en appel, les juges du fond ont conclu au licenciement abusif de la travailleuse, malgré les deux motifs que l’employeur avançait à l’appui de sa décision : les nécessités économiques de l’entreprise et l’inaptitude au travail de l’ouvrière.
2. Situation économique de l'entreprise
Concernant la situation économique de l’entreprise, les premiers juges ont constaté la baisse du chiffre d’affaires mais ont réfuté cet argument en raison de la polyvalence de l’ouvrière qui aurait pu être affectée à une autre fonction. En appel, tout en confirmant l’avis du premier juge, la Cour du travail de Mons constate en outre que l’employeur est lui-même l’auteur de cette baisse de productivité en raison des choix qu’il a posés. Il ne pourrait donc invoquer ce motif à l’appui de sa décision
3. Inaptitude à travailler
S’agissant de l’inaptitude de l’ouvrière, les absences répétées ou de longue durée, même si elles sont justifiées, peuvent mener à la conclusion que la travailleuse est inapte à exercer sa fonction. Cependant, selon les juges du fond, il appartient à l’employeur de démontrer que ces absences ont effectivement porté atteinte à l’organisation du travail au sein de l’entreprise. Cette désorganisation peut être prouvée par des éléments de fait : nombre de jours d’absence du travailleur, taille de l’entreprise, organisation du service, polyvalence des travailleurs dudit service, spécificité des tâches accomplies, engagement de travailleurs intérimaires pour combler les absences du travailleur, etc. En l’espèce, pour la Cour du travail, l’employeur n’apporte pas cette preuve.
Mécontent de la décision de la Cour du travail, l’employeur introduit un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation casse cette décision au motif qu’il n’est pas légalement demandé à l’employeur, lorsque son travailleur est inapte à exercer la fonction, de démontrer une perturbation du travail au sein de son entreprise.
Le juge ne peut conclure au caractère abusif du licenciement si celui-ci se fonde sur la seule inaptitude du travailleur.
La Cour de cassation revient également sur les nombreuses absences de la travailleuse qui pourraient remettre en cause son aptitude à exercer le travail convenu.
Elle rejette la motivation de la Cour du travail qui considérait comme abusive la décision de l’employeur de licencier la travailleuse, sans établir de rapport avec la désorganisation de l’entreprise ou du service.
Que retenir de cette décision ?
L’employeur qui exerce son droit de licencier un travailleur n’agit pas nécessairement de manière abusive, si aucun rapport ne peut être établi entre la désorganisation du service ou de l’entreprise et l’inaptitude du travailleur.
Le seul fait qu'un travailleur soit en incapacité de travail suffit, selon la conception de la Cour de cassation, à exclure que le licenciement notifié pour cette raison puisse être considéré comme abusif.
L’employeur prudent tiendra toutefois compte des circonstances qui entourent l'incapacité, ainsi que les conséquences de celle-ci sur l’organisation du travail. En effet, certaines décisions de jurisprudence récentes continuent, en dépit de la position adoptée par la Cour de cassation, à exiger que l’employeur apporte la preuve que l'incapacité de travail a entraîné une perturbation de l'organisation de l’entreprise ou du service.