Une décision récente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a relancé le débat concernant le droit de l’employeur de contrôler l’utilisation par ses employés d’appareils électroniques, de l’internet et des e-mails.
Résumé de l’affaire
Une entreprise roumaine répondait aux demandes et questions de ses clients via un compte Messenger Yahoo. Cette entreprise avait une politique relative à l’utilisation d’appareils électroniques et internet, laquelle prévoyait que les e-mails et le chat ne pouvaient être utilisés qu’à des fins professionnelles. A l’occasion d’un contrôle, qui a duré une semaine, effectué afin de vérifier que les employés respectaient cette politique, l’employeur a découvert que l’un de ses employés avait échangé des e-mails avec son frère et sa fiancée. L’employé en question a démenti avoir utilisé les e-mails à des fins privées et a par conséquent été licencié. Le juge roumain a décidé que l’employeur avait le droit de contrôler le respect par ses employés de la politique d’entreprise. A la suite de cela, l’employé licencié a porté son affaire devant la CEDH.
La CEDH a décidé que l’employeur était resté dans les limites de ses pouvoirs disciplinaires (de contrôle), puisque le droit du travail (roumain) permettait aux employeurs d’accéder aux comptes de messagerie électronique de leurs employés. L’employeur pouvait partir du principe que les e-mails ne seraient utilisés qu’à des fins professionnelles puisque cela était expressément prévu dans la politique de l’entreprise et étant donné que l’employé avait affirmé qu’il n’avait utilisé les e-mails qu’à des fins professionnelles. La CEDH a souligné qu’il n’est pas déraisonnable pour un employeur de vérifier si ses employés remplissent bien des tâches professionnelles pendant leurs heures de travail.
Impact de cette jurisprudence en Belgique
La jurisprudence de la CEDH n’aura pas beaucoup d’impact sur la Belgique: il est déjà admis que lorsque les employés utilisent les moyens de communication de l’entreprise à des fins professionnelles, les employeurs ont le droit de contrôler l’utilisation correcte des biens de l’entreprise.
Recommandations pour les employeurs en Belgique
En pratique, il n’est pas toujours facile d’organiser de tels contrôles. Les principes généraux de protection de la vie privée gouvernant la relation de travail sont plutôt vagues et difficiles à appliquer.
Nos recommandations ci-dessous sont dès lors basées sur notre expérience professionnelle et ont pour but d’offrir aux employeurs une manière pratique d’appliquer ces principes, dans les limites autorisées par la loi et la jurisprudence.
1. Tout d’abord, les employeurs décident si leurs employés peuvent utiliser les moyens de communications de l’entreprise (boîte mail, compte, chatbox) à des fins professionnelles seulement ou également à des fins privées (faisant éventuellement l’objet de certaines conditions (par exemple: seulement durant les pauses, à partir d’un ordinateur spécifique, etc.)). Il est certain que le contrôle pourra plus aisément être effectué si l’utilisation de moyens de communication est limitée à des fins professionnelles: l’employeur peut s’attendre à ce qu’il n’y ait pas d’utilisation personnelle et l’employé ne devrait pas avoir d’attentes raisonnables en ce qui concerne la protection de sa vie privée pour les communications privées.
Veuillez noter que si seule une utilisation à des fins professionnelles est permise, la jurisprudence n’admet pas que l’employé puisse être totalement privé de communications personnelles. Cela signifie que vous devriez autoriser un employé à utiliser son téléphone (privé) ou une boîte mail privée afin d’avoir des conversations privées/envoyer un message privé. Pour autant que ces communications privées demeurent exceptionnelles et qu’elles n’interfèrent pas avec le fonctionnement normal sur le lieu de travail, elles devraient être permises.
2. Les employeurs qui désirent contrôler l’utilisation des moyens de communication, devraient:
a. Prévoir une politique d’entreprise transparente écrite (contrat de travail, règlement de travail, politique), laquelle indique clairement:
i. l’utilisation (professionnelle et/ou privée) qui peut être faite des appareils électroniques, de l’internet et des e-mails;
ii. que des contrôles éventuels peuvent avoir lieu et quels moyens seront utilisés pour ces contrôles;
iii. les objectifs d’un tel contrôle (ex.: productivité, prévention de dommages aux systèmes IT, le respect de la politique); et,
iv. que le non-respect de la politique pourrait impliquer plusieurs sanctions (disciplinaires).
b. Informer les employés de cette politique et leur rappeler cette politique de temps en temps. L’accord des employés n’est pas requis, mais ils doivent être suffisamment informés des règles applicables au sein de l’entreprise;
c. En cas de suspicion qu’un employé ne respecte la politique d’entreprise, veiller à agir conformément à la CCT n°81;
d. S’ils autorisent l’utilisation privée (raisonnable) des moyens de communication:
i. limiter le plus possible les contrôles aux communications professionnelles;
ii. pour ce faire, introduire un système qui indique clairement la nature des communications (ex.: demandez aux employés d’indiquer dans la barre d’objet de l’e-mail si celui-ci est de nature privée ou professionnelle);
iii. Se focaliser sur les métadonnées, telles que la fréquence et éviter dans la mesure du possible de lire les messages privés des employés, s’ils contrôlent effectivement ces communications privées. En effet, la lecture des e-mails privés doit rester strictement exceptionnelle et ne sera pas considérée comme une violation de la vie privée de l’employé que dans un nombre très limité de cas.
e. Faire une déclaration auprès de la Commission Vie Privée.