08/06/20

Le Coronavirus provoque-t-il aussi une recrudescence d’actions collectives (class actions) en Belgique?

Il a été généralement admis entre temps que la pandémie du Coronavirus constitue une situation de force majeure mondiale dans laquelle, en principe, personne ne peut être tenu responsable des dommages causés par le Coronavirus. Qu’en est-il toutefois des stations de ski qui, malgré le fait que le gouvernement savait ou aurait dû savoir que le Coronavirus était présent dans les stations, sont restées ouvertes et accessibles? Qu’en est-il des bateaux de croisière qui, bien que le Coronavirus soit clairement présent à bord, ont poursuivi leur voyage et laissé leurs passagers dans l’incertitude? Qu’en est-il des agences de voyage qui ont continué à autoriser les voyages malgré des informations alarmantes sur une augmentation du nombre de patients atteints du Covid-19 dans le lieu de destination? Et que dire du gouvernement belge qui, selon certains, a commis un certain nombre de manquements, par exemple en intervenant trop tard pour contrôler le Coronavirus ou en prenant éventuellement des mauvaises décisions concernant les commandes de masques buccaux ou des mesures relatives aux maisons de repos? Il s’agit de situations dans lesquelles on pourrait éventuellement envisager d’intenter une action collective (class action). 

Les conditions d’introduction d’une action collective dépendent de la réglementation nationale d’un pays. Cet e-zine vous donne un bref aperçu des conditions (strictes) de mise en place d’une action collective en Belgique. 

QU’EST-CE QU’UNE ACTION COLLECTIVE?

Une “action collective” ou une “action en réparation collective” est une procédure judiciaire intentée par un groupe de consommateurs ou de PME, qui, à titre personnel, sont chacun lésés par un préjudice résultant d’une cause commune. Il s’agit donc d’une “action de groupe”, généralement intentée en vue d’obtenir une indemnisation, au nom et au profit d’un grand nombre de consommateurs ou de PME, tous victimes d’un acte illicite commis par une même entité responsable. 

POUR QUOI ET PAR QUI UNE ACTION COLLECTIVE PEUT-ELLE ÊTRE ENGAGÉE ET DEVANT QUELLE JURIDICTION DOIT-ELLE ÊTRE ENGAGÉE?

Une action collective concerne toujours une plainte d’un groupe de consommateurs ou de PME contre une entreprise (ou un service public autonome) en raison d’un manquement à l’une de ses obligations contractuelles, ou en raison d’une violation d’une législation spécifique, telle que le Code de droit économique (par exemple la protection de la concurrence, les pratiques du marché et la protection des consommateurs) ou la législation sur les voyages. Les victimes peuvent obtenir une indemnisation pour les dommages matériels, immatériels/ moral et/ou corporels par le biais de cette action collective. 

Une action collective est introduite par la voie d’une requête à déposer auprès du Tribunal de l’Entreprise de Bruxelles. Une requête doit toujours être déposée par un représentant reconnu du groupe. En pratique, seule l’organisation “Test Achats” a déjà engagé un nombre (limité) d’actions collectives dans le passé, ce qui lui confère actuellement de facto un monopole en ce qui concerne l’introduction d’une action collective en Belgique. Ce sera donc “Test Achats“ qui désignera un avocat éventuel pour l’ensemble de l’action collective.

COMMENT SE DÉROULE UNE ACTION COLLECTIVE?

Dès qu’une action de groupe, introduite par un représentant reconnu du groupe, est déclarée recevable par le juge, celui-ci fixe dans sa décision de recevabilité un délai pour les victimes pour faire valoir leurs droits et détermine la procédure exacte à suivre. Cette décision de recevabilité est à distinguer des décisions américaines en matière de “certification of a class“ et est en règle plus facile à obtenir auprès d’un juge belge. Une action collective peut ensuite se poursuivre via des négociations ou une procédure judiciaire. 

Si une action collective est introduite en Belgique à la lumière du Coronavirus, cela se fera très probablement via le système de l’« opt-in ». Cela signifie que chaque partie lésée doit s’associer activement à l’action de groupe. Chaque victime devra en effet démontrer concrètement les dommages qu’elle a subis. 

De plus, en Belgique, il ne sera pas possible (par exemple) d’engager immédiatement une action collective contre les pouvoirs publics belges, car notre règlementation nationale ne s’applique qu’aux entreprises. L’ensemble des victimes devra donc engager des actions (judiciaires) de manière individuelle, et chaque victime devra non seulement démontrer son préjudice, mais aussi prouver une faute dans le chef des autorités belges, ainsi qu’un lien de causalité entre les deux, afin de prouver la responsabilité des autorités belges. En outre, chaque victime devra supporter ses propres frais de procédure, ce que l’introduction d’une action collective cherche pourtant précisément à éviter. 

En Autriche, de manière générale, il n’existe pas non plus d’action collective en tant que tel. L’association des consommateurs autrichienne a donc opté pour la voie pénale et a choisi d’introduire une action collective en réponse au Coronavirus. Le ministère public devra enquêter pour savoir s’il y a eu un problème à Ischgl et ce qui s’y est exactement passé. Les touristes étrangers peuvent se joindre à cette action collective. En raison – entre autres – des règles de droit international privé, engager par exemple une procédure judiciaire en Belgique contre une commune autrichienne ne s’avérera pas évident, mais un consommateur belge ferait sans doute mieux de se joindre à l’action collective autrichienne. 

ENGAGER UNE ACTION COLLECTIVE (CLASS ACTION): EST-CE UNE BONNE IDÉE?

Une action collective (class action) permet à toutes les victimes d’être représentées dans une seule et même procédure et de pouvoir bénéficier d’un seul et même résultat. Elle peut être considérée comme un moyen de pression solide et efficace sur une entreprise afin d’obtenir si nécessaire une indemnisation à l’amiable. En outre, la possibilité d’intenter une action collective renforce la possibilité du consommateur de s’exprimer. Les demandes sont portées devant un juge qui, autrement, ne serait jamais saisi, et ce en raison du fait qu’un consommateur individuel pourrait penser que son action n’en vaut pas la peine si – par exemple – l’enjeu est assez faible. 

Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur de cette règlementation nationale le 1er septembre 2014, seules quelques actions collectives ont été intentées en Belgique par Test Achats, notamment contre Facebook, Thomas Cook et Volkswagen. A vrai dire, l’introduction d’une action collective peut s’avérer être une procédure lourde et assez coûteuse. Il y a souvent de longs débats avant qu’une action collective ne soit engagée, purement et simplement sur la question de savoir s’il est approprié ou non de porter l’affaire devant le tribunal. Démontrer qu’un acte(/manquement) ou une faute spécifique de la part d’une entreprise est la cause réelle du dommage subi par les différents consommateurs ou PME n’est souvent pas évident à prouver. 

En outre, dans un certain nombre de cas, il est également possible de rechercher le for le plus approprié (forum shopping) et d’engager une procédure devant une juridiction qui dispose d’une expérience et d’une expertise plus étendues dans le traitement des actions collectives. Par exemple, on sait qu’au niveau international, les Pays-Bas jouissent d’une excellente réputation via la Cour d’appel d’Amsterdam pour le traitement efficace d’actions collectives (dans le cadre de la loi hollandaise sur les « dommages de masse » (« massaschades »)). Une action collective peut donc être un bon moyen pour un consommateur ou une PME de faire entendre sa voix, même si l’enjeu individuel est relativement limité, et l’ensemble de la procédure collective peut parfois être très lourde. Nous nous attendons donc à ce que le Coronavirus ne provoque pas une avalanche d’actions collectives en Belgique et que les demandeurs envisageront de porter cette plainte devant un tribunal étranger. En ce qui concerne les défendeurs, les conditions essentielles de la responsabilité devront encore être prouvées par le groupe de demandeurs et il n’y aura donc pas de renversement de la charge de la preuve au bénéfice des demandeurs. Cette charge de la preuve demeure souvent un obstacle majeur dans presque tous les litiges de responsabilité en Belgique et nécessite généralement l’intervention d’un expert judiciaire.

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